Seule dans une salle de classe d\u00e9saffect\u00e9e \u00e0 Okayama, je regardais une vid\u00e9o o\u00f9 un groupe d\u2019adultes remontait la rivi\u00e8re Asahi dans un p\u00e9dalo en forme de cygne jusqu\u2019\u00e0 la mer, puis jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00eele d\u2019Inujima<\/a>, accompagn\u00e9 par une musique douce au piano. Une sc\u00e8ne d\u00e9cal\u00e9e, amusante, mais aussi d\u2019une po\u00e9sie et d\u2019une profondeur poignantes, qui m\u2019ont touch\u00e9e bien plus que je ne l\u2019aurais imagin\u00e9. Une sc\u00e8ne, aussi, particuli\u00e8rement famili\u00e8re puisque ces p\u00e9dalos ont pour port d\u2019attache un ponton situ\u00e9 pr\u00e8s de cette \u00e9cole, entre le jardin Korakuen et le ch\u00e2teau d\u2019Okayama. J\u2019avais moi-m\u00eame vogu\u00e9 dans l\u2019un d\u2019eux la veille, et eu cette pens\u00e9e : \u00ab\u2009et si quelqu\u2019un d\u00e9passait les limites fix\u00e9es et partait en p\u00e9dalo, \u00e0 l\u2019aventure\u2009\u00bb. J\u2019ai alors eu la sensation de comprendre concr\u00e8tement ce qu\u2019est le festival d\u2019art contemporain Okayama Art Summit, et son imbrication dans la ville. <\/p>\n\n\n
Okayama Art Summit est une triennale internationale d\u2019art contemporain qui se tient dans la ville d\u2019Okayama depuis 2016<\/strong>. En 2022, Rirkrit Tiravanija<\/a> a pris la suite de Liam Gillick et de Pierre Huyghe \u00e0 la direction artistique de l’\u00e9v\u00e9nement pour une \u00e9dition intitul\u00e9e Do we dream under the same sky<\/a><\/em>, qui pourrait se traduire par \u00ab\u2009R\u00eavons-nous sous le m\u00eame ciel\u2009\u00bb. <\/p>\n\n\n\n
Les dates, approximativement 2 mois de septembre \u00e0 novembre<\/strong>, permettent d\u2019associer une visite de l\u2019Okayama Art Summit \u00e0 celle de la session d\u2019automne d\u2019une autre triennale d\u2019art contemporain : la Setouchi Triennale<\/a>, qui investit \u00eeles et ports de Kagawa et d’Okayama, dont la d\u00e9sormais c\u00e9l\u00e8bre \u00eele de Naoshima<\/a>. <\/p>\n\n\n
\nLe r\u00eave ici, c’est de r\u00eaver dans un ciel de diff\u00e9rence, dans un ciel de multiplicit\u00e9, de repr\u00e9sentations qui sont en marge du canon occidental. C’est que ce r\u00eave est pour nous (participants et spectateurs) de ressentir des repr\u00e9sentations, qui sont ext\u00e9rieures \u00e0 notre position normative. C’est que ce r\u00eave peut nous ouvrir \u00e0 des histoires, des vies et des mani\u00e8res de penser, de regarder, d’entendre, d’\u00eatre, d’exister au-del\u00e0 des espoirs, des aspirations, et des r\u00eaves qui nous touchent, nous, dans nos cadres quotidiens. <\/p>\nRirkrit Tiravanija, directeur artistique de l’\u00e9dition 2022 d’Okayama Art Summit<\/a><\/cite><\/blockquote>\n\n\n\n
Des \u0153uvres d’art contemporain en dialogue avec la ville d’Okayama<\/h2>\n\n\n\n
Une des sp\u00e9cificit\u00e9s de l’Okayama Art Summit est de se tenir dans divers lieux de la ville, tous situ\u00e9s \u00e0 quelques minutes de marche les uns des autres<\/strong>. C’est donc avec \u00e0 la main un programme en forme de carte que je suis partie \u00e0 la recherche des \u0153uvres. La visite prend des airs de chasse au tr\u00e9sor, et offre l’occasion d’explorer Okayama et de d\u00e9couvrir, en marge de notre qu\u00eate initiale, ici un caf\u00e9 ou une boutique, l\u00e0 une belle vue sur le ch\u00e2teau. En plus de la carte officielle des \u0153uvres, une \u00ab\u00a0Okayama Alternative Map<\/a>\u00a0\u00bb (\u00ab\u00a0Carte alternative d’Okayama\u00a0\u00bb) est distribu\u00e9e gratuitement. Elle invite \u00e0 explorer la ville<\/strong> en consid\u00e9rant les divers \u00e9l\u00e9ments du paysage urbain (b\u00e2timents, enseignes, mobilier urbain, etc.) avec le m\u00eame regard que l’on pose sur les \u0153uvres d’art<\/strong>, et prolonger le plaisir de l’exploration. <\/p>\n\n\n
\nTous les sites o\u00f9 les \u0153uvres sont expos\u00e9es sont proches du ch\u00e2teau d’Okayama et du jardin Korakuen.<\/figcaption><\/figure><\/div>\n\n\n L\u2019ancienne \u00e9cole primaire Uchisange<\/strong> (\u65e7\u5185\u5c71\u4e0b\u5c0f\u5b66\u6821), o\u00f9 sont expos\u00e9es les \u0153uvres que j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 \u00e9voqu\u00e9es, est le site principal du festival.<\/strong> J\u2019ai pu y d\u00e9couvrir des \u0153uvres aux esth\u00e9tiques et m\u00e9diums vari\u00e9s, expos\u00e9es des salles de classe \u00e0 la cour, et jusque dans la piscine. Certaines \u0153uvres ont pleinement capt\u00e9 mon attention, tandis que je me suis content\u00e9e de remarquer la pr\u00e9sence d\u2019autres sans m\u2019y arr\u00eater. Et je pense que c\u2019est bien ainsi, une exposition dans un tel lieu rend le butinage plus facile et moins culpabilisant que dans un mus\u00e9e. <\/p>\n\n\n\n
Une \u00e9cole est constitu\u00e9e d’\u00e9l\u00e9ments immuables d’un bout du monde \u00e0 l’autre, et chaises, tables, tableaux et horloges convoquent un imaginaire partag\u00e9 qui nourrit les \u0153uvres. D’un autre c\u00f4t\u00e9, l’architecture typique des \u00e9coles japonaises offre \u00e0 l’exposition un cadre qui avait pour moi, venant d’une autre culture, quelque chose d’exotique, d’\u00e9tranger, et offrait une nouvelle dimension \u00e0 la visite : la d\u00e9couverte d’\u00e9l\u00e9ments de la vie japonaise qui ne sont habituellement pas accessibles aux visiteurs. <\/p>\n\n\n\n
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Les \u0153uvres expos\u00e9es dans l\u2019\u00e9cole Uchisange plongent les spectateurs dans des univers h\u00e9t\u00e9roclites. De gauche \u00e0 droite et de haut en bas : B\u00e1rbara S\u00e1nchez-Kane, Versos Rancios\uff3bRancid verse\uff3d<\/em>\u2009; Asif Mian, Smokeless Fire<\/em>\u2009; Mari Katayama, Possession<\/em>\u2009; Precious Okoyomon, Touching My Lil Tail<\/em> Till the Sun Notices Me<\/em>. <\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n Le festival investit \u00e9galement des mus\u00e9es des Beaux-Arts Hayashibara ou du mus\u00e9e de l\u2019Orient d\u2019Okayama. Lors de cette \u00e9dition 2022, les vid\u00e9os de Wang Bing et l\u2019installation du collectif d\u2019artistes vietnamiens Art Labor, en collaboration avec des artistes traditionnels Jara\u00efs, \u00e9taient expos\u00e9s dans des espaces distincts des collections d\u2019art japonais ancien du mus\u00e9e Hayashibara. Au mus\u00e9e de l\u2019Orient Okayama, au contraire, les salles d\u2019exposition \u00e9taient investies, cr\u00e9ant des dialogues entre les collections d\u2019art du Proche-Orient et du Moyen-Orient, dont des art\u00e9facts antiques, et les \u0153uvres de l\u2019Okayama Art Summit : collages photographiques de Frida Orupabo, vid\u00e9o de Rasel Ahmed, sculptures de Haegue Yang et Lygia Clark, mais aussi \u2014 ce qui est plus inattendu pour un festival d\u2019art contemporain \u2014 de surprenantes sculptures d\u2019un moine bouddhiste du 17e si\u00e8cle, Enku<\/a>. <\/p>\n\n\n\n
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Au mus\u00e9e de l\u2019Orient d\u2019Okayama, les \u0153uvres sont expos\u00e9es dans les m\u00eames salles que les collections. \u00c0 gauche : Frida Orupabo, Longing\/woman<\/em> ; \u00e0 droite : Rasel Ahmed, Who Killed Taniya<\/em> : Episode 1<\/em>.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n Au-del\u00e0 de ces lieux d\u2019exposition, le festival investit certains des sites embl\u00e9matiques d\u2019Okayama<\/strong>, qui n\u2019ont a priori pas grand-chose \u00e0 voir avec l\u2019art contemporain. Une occasion de porter un regard nouveau sur le ch\u00e2teau d\u2019Okayama, le jardin Korakuen, le sanctuaire d\u2019Okayama et le parc Ishiyama<\/strong>, qu\u2019on y soit venu pour le festival ou non. Un moyen aussi de mener les visiteurs de ces sites vers le festival, et d\u2019inviter les festivaliers \u00e0 accompagner leur escapade artistique de visites culturelles et patrimoniales.<\/p>\n\n\n\n
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En haut : My-Linh Le, demons of good dream<\/em> et Abraham Cruzvillegas, Kami No Michi<\/em>, dans le sanctuaire d\u2019Okayama\u2009.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n Le travail photographique de l\u2019artiste Mari Katayama, pr\u00e9sent \u00e9galement dans l\u2019\u00e9cole et le centre culturel Tenjinyama \u2014 autre lieu d’exposition enti\u00e8rement investi par le festival \u2014, prend quant \u00e0 lui une dimension particuli\u00e8re lorsqu\u2019il est affich\u00e9 sur la fa\u00e7ade d\u2019un grand magasin du centre-ville, entre des publicit\u00e9s glamour pour marques de luxe. Leur esth\u00e9tique soign\u00e9e y semble tout \u00e0 fait \u00e0 sa place, et les passants peu attentifs n\u2019ont peut-\u00eatre m\u00eame pas remarqu\u00e9 ce quelque chose de troublant, l\u2019\u00e9tranget\u00e9 inqui\u00e9tante du corps que l\u2019artiste capte dans ses autoportraits, m\u00ealant une beaut\u00e9 plastique en phase avec celle des mannequins des affiches voisines, et des singularit\u00e9s troublantes : une main ne comptant que deux doigts, deux jambes amput\u00e9es, prolong\u00e9es par des proth\u00e8ses chauss\u00e9es de talons hauts. <\/p>\n\n\n
\nLes photographies just one of those things<\/em>, du projet High Heel Project<\/a> de Mari Katayama, sont expos\u00e9es dans la galerie commer\u00e7ante Omotecho Shotengai, visible d’un public bien plus large que celui du festival. <\/figcaption><\/figure><\/div>\n\n\n Okayama, une ville o\u00f9 l’art contemporain a toute sa place<\/h2>\n\n\n\n
Okayama est c\u00e9l\u00e8bre comme ville f\u00e9odale, avec son ch\u00e2teau et le jardin Korakuen, consid\u00e9r\u00e9 comme l\u2019un des trois jardins les plus c\u00e9l\u00e8bres du Japon. Elle l\u2019est aussi comme la ville d\u2019origine de la c\u00e9l\u00e8bre l\u00e9gende de Momotaro, qui n\u2019est pas juste un conte pour enfants, mais un mythe ayant des liens \u00e9troits avec des croyances anciennes, comme on peut le d\u00e9couvrir en visitant les sanctuaires shinto Kibitsu-jinja et Kibitsuhiko-jinja. Mais c\u2019est aussi une ville qui a des liens forts avec l\u2019art, depuis l\u2019art moderne de Takehisa Yumeiji<\/a><\/strong>, auquel un mus\u00e9e est consacr\u00e9<\/a>, \u00e0 la sc\u00e8ne contemporaine<\/strong>, comme notre r\u00e9dactrice Toshiko l\u2019explique dans cet article o\u00f9 elle \u00e9voque notamment le projet A&A (pour \u00ab\u2009Artist & Architect\u2009\u00bb)<\/a>. <\/p>\n\n\n
\nDeux \u0153uvres visibles dans une rue d’Okayama : Peter Fischli et David Weiss, How to Work Better<\/em> et Lawrence Weiner, BLOCKS OF COMPRESSES GRAPHITE \/ SET IN SUCH A MANNER \/ AS TO INTERFERE \/ WITH THE FLOW OF NEUTRONS \/ FROM PLACE TO PLACE<\/em> sur la fa\u00e7ade de l’Okayama Laudry Building. Elles font partie d’un projet satellite de l’Okayama Art Summit, A&C<\/strong> (pour \u00ab\u00a0Art & City\u00a0\u00bb), visant \u00e0 installer des \u0153uvres dans l’espace public de mani\u00e8re permanente<\/strong>. <\/figcaption><\/figure><\/div>\n\n\n Okayama est aussi la seule pr\u00e9fecture hors de Kagawa qui accueille la triennale de Setouchi<\/strong>\u2009; dans le port d\u2019Uno, mais aussi et surtout sur l\u2019\u00eele d\u2019Inujima, situ\u00e9e dans la ville d\u2019Okayama<\/strong> et membre du c\u00e9l\u00e8bre trio des \u00ab\u2009\u00eeles artistiques\u2009\u00bb de Setouchi avec Naoshima et Teshima. Cherise a partag\u00e9 son exp\u00e9rience \u00e0 Inujima dans cet article.<\/a> Certaines \u0153uvres sont accessibles m\u00eame hors festival*, et le mus\u00e9e Seirensho<\/strong>, install\u00e9 de mani\u00e8re permanente, m\u00e9rite \u00e0 lui seul une visite \u2014 les photographies sont interdites et c\u2019est sans doute mieux ainsi : la surprise est pr\u00e9serv\u00e9e et nous pouvons \u00eatre pleinement pr\u00e9sents et r\u00e9ceptifs pendant la visite. <\/p>\n\n\n\n
*Les jours et p\u00e9riodes d’ouverture du mus\u00e9e Seirensho et des \u0153uvres du project \u00ab\u2009Art House Project\u2009\u00bb sont variables, il est donc n\u00e9cessaire de consulter le calendrier sur le site de Benesse Art Site Naoshima<\/a> avant de plannifier une visite. <\/p>\n\n\n
\nLe paysage d\u2019Inujima m\u00eale friches industrielles, village insulaire traditionnel, et l\u2019environnement naturel si singulier des \u00eeles de la mer int\u00e9rieure de Seto. <\/figcaption><\/figure><\/div>\n\n\n Les deux festivals ayant lieu la m\u00eame ann\u00e9e, j’ai eu la chance de pouvoir encha\u00eener la visite d’Inujima pendant la session d’automne de la triennale de Setouchi et celle d’Okayama Art Summit<\/strong>, une merveilleuse plong\u00e9e dans l’art contemporain \u00e0 Okayama que je ne peux que recommander \u00e0 ceux qui ont l’opportunit\u00e9 de se rendre dans la r\u00e9gion \u00e0 cette p\u00e9riode. <\/p>\n\n\n\n
Vous pourrez trouver d’autres id\u00e9es de choses \u00e0 faire et \u00e0 voir \u00e0 Okayama dans nos articles : <\/strong>
\u2022 Okayama, une ville aux nombreuses richesses culturelles<\/a>
\u2022 Inujima, un joyau d\u2019art et d\u2019\u00e9cologie dans les \u00eeles de Setouchi<\/a>
\u2022 D\u00e9couvrir la beaut\u00e9 de Setouchi au travers de l\u2019art et de l\u2019architecture<\/a>
\u2022 D\u00e9couverte du quartier historique d’Ashimori, avec ses r\u00e9sidences de samoura\u00efs<\/a>
\u2022 Les sanctuaires shinto Kibitsu-jinja et Kibitsuhiko-jinja,
\u2022 S\u00e9jour \u00e0 la ferme \u00e0 Oumi no Sato<\/a><\/p>\n\n\n\nOkayama Art Summit : acc\u00e8s et information pratiques<\/h2>\n\n\n\n
La zone o\u00f9 se d\u00e9roule le festival<\/strong> est situ\u00e9e autour de la station de tramway de Shiroshita (\u57ce\u4e0b\u99c5), accessible en transports en moins de 10 minutes depuis la gare d’Okayama<\/strong> (\u5ca1\u5c71\u99c5) \u2014 comptez une quinzaine de minutes \u00e0 pied. <\/p>\n\n\n\n
Le Shinkansen s\u2019arr\u00eate en gare d\u2019Okayama, rendant la ville facile d\u2019acc\u00e8s. Comptez un peu plus de 3h depuis Tokyo, 1 h depuis Kyoto, 45 min depuis Osaka, et 35 min depuis Hiroshima<\/strong>. Ces trajets sont couverts par le Japan Rail Pass<\/a>. <\/p>\n\n\n\n