Il y a des lieux qui ne se visitent pas, mais qui se vivent. Des lieux qui ne s’imposent pas à nous, mais qui nous invitent. Muro-ji, caché dans les montagnes boisées de la préfecture de Nara, est de ceux-là. Ce temple bouddhiste niché au creux de la vallée de Muro, où passe la rivière du même nom, n’est ni le plus célèbre ni le plus imposant. Mais il porte en lui une forme de sagesse tranquille, que l’on découvre… chotto-zutsu (ちょっとずつ), pas à pas…
Le concept du Chotto-zutsu
Cela signifie « petit à petit » ou « pas à pas ». Et ce n’est pas qu’un mot. C’est une philosophie du rythme, du geste, de la transformation. Ici, dans cette forêt dense où les saisons dévoilent tour à tour leur beauté, les érables flamboyants de l’automne, les brumes hivernales, les cerisiers discrets du printemps et la fraîcheur des hortensias de l’été, on comprend que la beauté ne réside pas dans la destination, mais dans le chemin, et surtout dans les escaliers.


En effet, à Muro-ji, tout commence par une marche. Sept cents marches, pour être exact. Sept cents marches qui serpentent à flanc de montagne, guidant les pas du visiteur depuis l’imposante porte (torii) d’entrée jusqu’au pavillon principal, puis plus haut encore, jusqu’à la pagode à cinq étages, et pour les plus courageux, jusqu’à l’Okunoin. Situé au sommet de la montagne, il abrite une statue du moine Kūkai (aussi appelé Kōbō Daishi), le fondateur de l’école bouddhiste Shingon.
La philosophie du lieu
Entre chaque pierre usée par les siècles et des milliers de pas, une respiration, un battement, un instant suspendu, et des siècles d’histoire. On grimpe en silence, à son rythme, avec pour seule compagnie le chant des oiseaux, le vent dans les cèdres, et parfois les silhouettes silencieuses d’autres pèlerins venus se recueillir.


Muro-ji est souvent appelé le « Kōyasan des femmes ». Un surnom qui en dit long. Là où d’autres temples majeurs interdisaient l’accès aux femmes, Muro-ji leur a toujours été ouvert. Ce n’est pas anodin. Il s’en dégage une atmosphère douce, presque maternelle. Les bâtiments en bois, les statues anciennes, les lanternes de pierre… tout semble avoir été posé là pour accueillir, plutôt que pour impressionner. Le temple de Muro-ji est un miroir. Car en gravissant ses marches, on gravit aussi quelque chose en soi. On apprend à respirer, à ralentir, à écouter, à observer. On se laisse transformer par le lieu. C’est une ascension modeste, mais puissante. Un exercice d’attention. Un retour à l’essentiel.
Au fil des saisons au Muro-ji
Au printemps, les glycines et les cerisiers bordent le chemin, offrant un contraste saisissant avec les toits sombres du temple et les marches de pierre grise. L’été, c’est l’ombre des arbres centenaires et des lauriers roses en fleurs qui enveloppe les visiteurs d’une fraîcheur bienfaisante. Mais un peu avant les grosses chaleurs de juillet et août, on y trouve, durant quelques jours, des escaliers entiers remplis d’hortensias et des fontaines d’eau fraîche couvertes de fleurs.


En automne, la forêt flambe, transformant la perspective après chaque marche en un tableau aux couleurs vives. Et l’hiver, quand la neige recouvre les marches, le silence devient absolu. Comme si le temps lui-même faisait une pause. Attention toutefois à ne pas glisser : le verglas et le froid mordant de cette zone de Nara peuvent parfois surprendre !
Le temple et son histoire
Le temple Muro-ji traverse les âges comme on gravit ses marches, une à une, dans le silence. Et pourtant, il est porteur d’une histoire millénaire. Fondé à la fin du VIIIᵉ siècle, sous le règne de l’empereur Kōnin (vers 770–780), il devient un haut lieu du bouddhisme Shingon sous l’impulsion du moine Kūkai, fondateur de cette école ésotérique au début du IXᵉ siècle. Plus haut, le Kondō (pavillon principal) du temple, reconstruit au XIIᵉ siècle, abrite une statue majestueuse de Kannon, déesse de la compassion.
Chaque marche gravie est un pas à travers les siècles, les tremblements de terre et les prières des moines, qui ont sculpté le paysage autant que la pierre. Et tout en haut, après une ultime montée dans un sentier plus étroit, se trouve l’Okuno-in, le pavillon intérieur. Bâti à l’époque Muromachi (1336–1573), on comprend alors que Muro-ji n’est pas seulement un temple. C’est un fil tendu entre les âges, discret et résilient, comme la montagne elle-même. Peu de visiteurs vont jusque-là. Pourtant, c’est peut-être le cœur le plus intime du Muro-ji. Un sanctuaire modeste, presque effacé, mais qui dégage une force incroyable. On y reste longtemps, sans trop savoir pourquoi…
Comment se rendre à Muro-ji
Le temple Muro-ji se trouve dans une zone montagneuse et reculée de l’ouest de la préfecture de Nara, près de la frontière avec Mie. On y accède aisément depuis Kyoto ou Osaka en rejoignant la gare de Muroguchi-Ono sur la ligne Kintetsu (environ 1 h 20 depuis Kyoto, 1 h depuis Osaka). De là, un bus ou un taxi mène jusqu’à l’arrêt Muroji-mae.
Murou-ji
establishment, place_of_worship, point_of_interest- 78 Murou, Uda, Nara 633-0421, Japan
- ★★★★☆
Plus qu’une visite touristique…
C’est là que le sens de chotto-zutsu prend tout son poids. Dans cette lenteur volontaire, dans cette marche sans performance, dans ce regard porté sur chaque détail… chaque bruit de pas, chaque souffle d’air. Pour visiter Muro-ji, il ne faut pas être pressé. Il faut venir avec un esprit disponible, s’abandonner à l’expérience. Il y a quelques cafés familiaux autour, une boutique modeste, et surtout… du silence.

On peut venir seul, à deux, ou en petit groupe. Il n’y a pas de mauvais moment. Chaque saison a son propre visage, unique. Il y a de fortes chances pour que vous repartiez avec un autre regard sur la vie, un rythme apaisé, une pensée en moins – ou en plus – et une envie de ralentir un peu, voire même de faire une pause. Car après tout, dans la vie comme à Muro-ji, il n’y a pas de raccourci. Il n’y a que des marches. Et la seule façon d’avancer… c’est chotto-zutsu.