Surnommée « le cœur de Kyushu », Kumamoto (熊本市) est la capitale de la préfecture du même nom. La ville abrite l’un des châteaux les plus impressionnants du Japon et possède probablement la mascotte japonaise la plus connue au monde. Voici le récit d’une journée à Kumamoto, en quête d’histoire et de traditions.
Le château de Kumamoto, un phœnix qui renaît de ses cendres
J’ai commencé ma journée en partant à la découverte du symbole historique de la ville par excellence : le château de Kumamoto, l’un des châteaux les plus grands et les plus complexes du Japon. Ces derniers mois marquent d’ailleurs le début d’un renouveau pour ce château, puisque depuis l’été 2021 les visiteurs peuvent à nouveau visiter le donjon principal. Celui-ci était inaccessible depuis 5 ans, après avoir subit d’importants dommages lors du tremblement de terre d’avril 2016. Je me sens donc particulièrement chanceuse de pouvoir enfin me rendre au château de Kumamoto, qui figurait depuis longtemps sur ma listes de lieux à visiter au Japon. Et je vais même découvrir son histoire grâce à Mieko Okada, une guide maîtrisant l’anglais qui va m’apprendre tout ce qu’il y a à savoir sur ce château.
J’ai demandé à ma guide ce qu’il restait du château d’origine, lorsqu’il fut construit durant la période Edo, en 1607, par le daimyo Kato Kiyomasa. Il s’avère que le château fut épargné du démantèlement général qui eut lieu durant la période Meiji, car il fut jugé utile pour l’armée japonaise. Si la majorité de l’ancienne citadelle finit par être démolie, les tours principales ainsi que les murs et les tourelles qui les entouraient purent rester en place. Malheureusement, une grande partie de ce qu’il restait succomba aux flammes en 1877 lors de la rébellion de Satsuma — aussi appelée guerre de Seinan — ne laissant intactes que quelques tourelles et certaines portions du mur. Il n’y eut que peu de changements durant les années qui suivirent, le château échappant par chance aux raids aériens de la seconde guerre mondiale. Ce n’est qu’en 1960 qu’un véritable travail de rénovation fut entrepris sur les ruines du château. On redonna au donjon principal son lustre d’antan et on restaura quelques tours et de grandes portion du mur. On profita des travaux pour consolider la structure à l’aide de béton armé sous le bois traditionnellement utilisé, et l’intérieur du donjon fit place à un musée.
L’une des choses les plus intéressantes que m’apprit ma guide fut le soin apporté aux travaux de restauration des murs de pierres. Chaque pierre fut d’abord numérotée et soigneusement documentée à l’aide de toutes les sources disponibles. Ce n’est qu’ensuite qu’on replaça chacune des 70 000 pierres dans l’ordre exact qui avait pu être déterminé. Ce travail d’une incroyable minutie s’avéra non seulement crucial au lendemain du tremblement de terre de 2016, mais il permit également de mettre en lumière la complexité et la sophistication des murs conçus par Kato Kiyomasa 400 ans plus tôt.
À l’époque, ces murs impressionnants avaient déjà été surnommés musha-gaeshi (武者返し), ce qui pourrait être vaguement traduit par « repoussoir de guerriers », grâce à leur efficacité redoutable pour repousser les visiteurs indésirables se présentant avec des intentions loin d’être amicales. À ce jour, les travaux de restauration sont toujours en cours dans certaines parties du château interdites aux visiteurs, un travail de longue haleine qui devrait encore durer une vingtaine d’années. Cela n’empêche pas cette construction imposante d’incarner l’histoire de la ville, et d’être un symbole inspirant à la fois force et résilience.
Josaien et son ambiance de ville fortifiée de l’époque Edo
L’immersion dans l’histoire et la culture de Kumamoto lors de la visite de son château peut être agréablement prolongée en partant à la découverte des boutiques et des restaurants de Josaien. Ces rues commerçantes reproduisent admirablement l’ambiance d’une ville fortifiée de l’époque Edo. On y trouve même une scène où quelques représentations ont lieu chaque jour. L’un de ces spectacles populaires est celui des Kumamoto-jo Omotenashi Bushotai (les seigneurs de l’hospitalité du château de Kumamoto), une troupe qui joue des reconstitutions historiques mettant en scène des samouraïs, dans des pièces éducatives teintées d’humour. Josaien est en tout cas le lieu idéal où acheter quelques souvenir et possède un grand choix de restaurants permettant de goûter aux spécialités culinaires de Kumamoto.
La viande de cheval est l’une des spécialités de Kumamoto, et Yamami-Chaya est l’une des meilleures adresses pour y goûter. J’ai décidé de commander un repas à base de viande de cheval grillée. Les sashimis de cheval et les bols d’Akaushi (une race de de bœuf wagyu élevée à Kumamoto) font également partie des plats populaires du restaurant. Le prix moyen d’un repas est de 2000 yens, mais l’enseigne propose également des plats moins onéreux.
Cérémonie du thé et ballade en kimono au jardin Suizenji Jojuen
Ma destination suivante ne se trouve qu’à 20 minutes de là, juste à côté du magnifique jardin Suizenji Jojuen (水前寺成趣園). Rien de mieux pour être assortie aux paysages traditionnels du parc que de s’habiller pour l’occasion, et c’est exactement ce que j’ai fait, avec l’aide de professionnels du kimono à Wa Collection Mito. Ouverte en 1967, cette boutique de location possède plus d’un demi-siècle d’expérience pour dénicher les vêtements les mieux adaptés à ses clients, du kimono de saison pour une ballade décontractée aux pièces de luxe réservées aux grandes occasions, en passant par les vêtements adaptées aux célébrations qui ponctuent la vie des japonais comme le passage à l’âge adulte. Pour moins de 4000 yens dans la plupart des cas, vous pourrez choisir un adorable kimono parmi une grande collection et profiter de votre journée ainsi vêtu en pensant seulement à le ramener à la boutique avant sa fermeture, à 17h.
Bien entendu, avec le jardin le plus beau et le plus populaire de la ville juste au bout de la rue, s’y rendre après avoir enfilé son kimono est une évidence. Fort de 350 ans d’histoire, le jardin Suizenji Jojuen est le lieu idéal pour laisser galoper son imagination et se projeter durant l’époque Edo, tout en se baladant et en admirant ses paysages soigneusement agencés. Takao Tsuru-san, mon guide dans le jardin, m’expliqua que le daimyo Tadatoshi Hosokawa avait dans l’idée d’y représenter en miniature la route du Tokaido qui reliait Tokyo et Kyoto, rendant ainsi hommage à des lieux aussi emblématiques de le mont Fuji, le lac Biwa ou le sanctuaire de Fushimi Inari. Il s’agit d’un jardin de style Momoyama dont la caractéristique majeure est la présence d’une tsukiyama, une colline artificielle généralement entourée d’un étang.
J’ai prolongé ma visite du jardin en me rendant dans la maison de thé Kokindenjuno-ma (古今伝授の間), qui se trouvait initialement dans l’enceinte du palais impérial de Kyoto avant d’être déménagée ici en 1912. Lorsqu’il fut construit, le bâtiment servait de salle de classe au prince Tomohito Hachijo, une affectation à laquelle le nom de la maison de thé fait référence, puisque le Kokin Wakashu (古今和歌集) est la première anthologie impériale de poésie japonaise et qu’elle fut enseignée au prince entre ces murs. On peut y déguster un thé matcha accompagné de pâtisseries traditionnelles japonaises pour environ 550 yens. Assise sur un tatami et profitant d’une météo radieuse, j’imaginais ce que devaient ressentir ceux qui admiraient le même paysage que moi des siècles auparavant.
S’initier à l’art de l’incrustation, une tradition japonaise vieille de 400 ans
Puisque j’avais passé la journée à me projeter dans les années 1600, je me suis dit que je pouvais tout aussi bien continuer même en quittant le jardin. Après une rapide incursion dans les années 1920 pour profiter de la commodité de la ligne de tramway qui se trouvait à proximité, je me suis replongée en pleine époque Edo lorsque je suis entrée dans l’atelier de Higo-Zogan Mitsusuke. Le maître artisan Yuji Osumi m’expliqua avec enthousiasme les spécificité de son art. D’abord cantonné à l’ornement d’armes et d’armures, les techniques artisanales d’incrustations développées exclusivement à Kumamoto ont peu à peu été employées sur des accessoires de mode et même des décorations d’intérieur. Cette boutique, créée en 1874, a joué un rôle décisif dans la pérennité de cet artisanat, en travaillant sur des pièces destinées à la famille impériale et même à des dirigeants internationaux — un véritable rôle d’ambassadeur de Kumamoto.
Les différentes étapes de l’incrustation Pour 3500 yens, on peut s’initier aux techniques traditionnelles d’incrustation de Kumamoto.
Ce jour-là, je m’efforçais donc à mon tour de jouer un rôle, aussi humble soit-il, dans le maintien de cet artisanat séculaire en apprenant les techniques d’incrustation de Kumamoto. En prenant part à l’atelier d’initiation, on peut choisir entre un pendentif, une décoration pour téléphone portable, ou un badge, et le décorer d’un motif de sa propre création ou à partir d’un des modèles proposés. Dans la continuité de ma journée, j’ai décidé de choisir le motif du château de Kumamoto proposé par l’atelier. Grâce à la patience et aux conseils bienveillants d’Osumi-san, je parviens à éviter la catastrophe, et au bout d’une heure je suis plutôt fière de constater que mon château n’a rien d’une œuvre cubiste ou d’une peinture abstraite. Il ne me reste plus qu’à donner mon adresse et mes coordonnées à la boutique, qui apportera une touche finale à ma création avant de me l’envoyer.
Comment se rendre à Kumamoto
La ville de Kumamoto est desservie par des lignes de train et de tramway. Pour se rendre à Kumamoto depuis la gare d’Hakata à Fukuoka, il faut compter environ 40 minutes à bord du Kyushu Shinkansen ; environ 1h depuis la gare de Kagoshima Chuo, et 3h à bord d’un train limited express depuis la gare d’Oita.
Lorsque la journée prend fin, je n’ai pas d’autre choix que de revenir aux temps présents. Changement et évolution sont des processus naturels nécessaires, tout aussi nécessaire que de préserver les caractéristiques qui font qu’un lieu ne ressemble pas à un autre. Qu’il est beau de constater que les joyaux culturels et historiques de Kumamoto ont su trouver leur place dans le Japon du 21e siècle.
Article écrit en partenariat avec la Kumamoto Prefectural Tourism Federation
Traduit de l’anglais par Joachim Ducos