Les villes du Japon vivent souvent au rythme de leur matsuri, le terme japonais pour désigner un festival annuel, qui occupe une place toute particulière chez la plupart des Japonais. Assister à un tel événement lors d’une visite au Japon est une option à privilégier quand on en a l’opportunité. Gratuit et ouvert à tous, il est l’occasion unique de voir l’âme du pays se refléter de façon vibrante dans les yeux passionnés de ses participants, qui ont à cœur de faire perdurer les traditions de leurs quartiers en les montrant, de la façon la plus authentique qui soit, aux visiteurs. Comme c’est le cas, ici, avec le festival de Kawagoe.

La ville de Kawagoe, située dans la préfecture de Saitama, au nord de Tokyo, ne fait pas exception à cette règle et organise chaque année, en octobre, son matsuri. Si sa principale caractéristique est la préservation des traditions de festivals de chars, aujourd’hui disparus du centre de Tokyo, le Festival de Kawagoe, qui existe depuis 1648, bénéficie en plus d’une excellente réputation pour la qualité de ses chars traditionnels, richement décorés et pouvant atteindre plusieurs mètres de haut. Considéré comme l’un des plus remarquables festivals du Japon et présentant un intérêt culturel de premier ordre, il a même été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2016.
Une grande fête à Kawagoe
Kawagoe est un véritable trésor architectural et culturel qui a su préserver l’authenticité du Japon féodal dans certaines de ses rues, notamment dans le quartier de Kurazukuri avec ses magnifiques bâtiments traditionnels et le clocher-symbole de la ville. Lorsque le visiteur y circule, il est plongé dans une ambiance unique qui rend son approche si particulière. Mais dès lors qu’il assiste au festival, qui s’est tenu cette année les 18 et 19 octobre, c’est une nouvelle dimension qui s’offre à lui.
Un festival de chars
Si la plupart des festivals au Japon incluent des mikoshi, de petits sanctuaires richement décorés que les participants transportent à travers la ville, il en existe, de façon moins fréquente, avec des chars, appelés dashi, qui sont tirés à bout de bras par les participants. Le Festival de Kawagoe, organisé chaque année au cours du troisième week-end d’octobre, est très réputé pour ses majestueux chars de style Edo, réalisés par des artisans de Tokyo et de Kawagoe. Sur les vingt-neuf chars de la flotte (le plus ancien date de 1861), vingt-huit appartiennent aux quartiers et un à la ville. Entre quinze et vingt seulement participent effectivement au festival chaque année. Pesant plusieurs tonnes, chacun nécessite une cinquantaine de personnes pour le manœuvrer. Sans volant, les virages se négocient grâce à une sorte de cric qui surélève le char et lui permet de prendre ensuite la direction souhaitée.

Les chars se composent d’une structure à deux étages, avec un mannequin articulé à taille humaine au sommet de la partie supérieure. Représentant des figures historiques, mythologiques ou issues du théâtre Nô, ils sont habités par les divinités de chaque quartier pendant la durée du festival et donnent leur nom au char. L’une des caractéristiques des dashi est de permettre au mannequin de se rétracter, grâce à un système d’ascenseur, pour réduire la hauteur du char. Cette fonctionnalité avait été conçue à l’origine pour leur permettre de franchir les portes du château d’Edo, mais peut encore être utilisée aujourd’hui dans certaines circonstances, le passage sous des fils électriques ou dans des ruelles étroites, par exemple. J’ai eu l’occasion de voir cette année des mannequins rangés à cause de la pluie, qui n’a pas altéré la qualité du spectacle ni la ferveur des participants.
Le Hayashi
Si le seul spectacle donné par ces chars de plusieurs tonnes et leur maniement est très impressionnant, le Festival de Kawagoe ne se limite pas à cela. Sur la partie inférieure du char se trouve une scène sur laquelle se produisent cinq musiciens qui jouent de la flûte, d’un kane (petit gong métallique), d’un grand taiko et de deux shimedaiko, des taiko de petite taille. Cet accompagnement musical, appelé Hayashi, est utilisé pour animer l’événement avec de la musique. Il existe trois styles principaux de Hayashi et chaque char transporte des interprètes issus de ces différentes traditions. Le rythme et la mélodie varient donc selon le groupe mais la flûte domine sur de nombreuses scènes. Quant au grondement puissant et vibrant des trois taiko, il se marie à merveille avec le son perçant et clair du gong. On se laisse envoûter par cette musique entraînante.

Le groupe de musiciens est également accompagné d’un personnage, avec masque et tenue uniques, qui anime par des danses souvent inspirées du théâtre populaire et des rituels shinto l’accompagnement musical. Je n’ai vu que quatre masques lors de ma visite mais leur choix varie en fonction des quartiers chaque année. Les masques de Okame (femme souriante) et Hyottoko (personnage comique) étaient présents à côté de ceux du lion et du renard (Kitsune). Les deux premiers sont fixes, car l’expression repose sur le jeu corporel et la lumière, et les deux autres sont articulés au niveau de la mâchoire, les masques mobiles étant réservés aux figures animales et surnaturelles pour renforcer leur caractère sacré. Le Kitsune est l’un des plus utilisés car les renards sont des protecteurs de sanctuaires dans la tradition shintoïste et le Kawagoe Matsuri est directement lié à un sanctuaire de la ville.
Le Hikkawase
Le Festival de Kawagoe ne saurait se limiter aux chars qui paradent en pleine ville, accompagnés de groupes de danseurs et de musiciens. Le festival est ponctué de temps forts tout au long de ses deux jours, notamment lorsque deux ou plusieurs chars se rencontrent. Ce moment spécial s’appelle Hikkawase : il s’agit d’une salutation lors de la rencontre des divinités. C’est alors qu’intervient la deuxième caractéristique des chars de Kawagoe, qui sont dotés d’une scène rotative permettant à la partie supérieure de tourner complètement pour faire face à l’autre groupe. Les musiciens et le danseur, qui jusque-là tenaient le rôle de simples animateurs dans les rues qu’ils traversaient, se transforment alors en compétiteurs représentant leur quartier. Dès lors, les deux groupes s’affrontent dans une sorte de joute artistique de quelques minutes qui retient l’attention de tous.

Le temps s’arrête alors et la foule amassée autour des chars retient son souffle pour suivre l’évolution de chacun. Chaque hayashi joue son propre rythme, souvent crescendo, pour imposer sa présence sonore, et les danseurs rivalisent de prouesses. Mais bien qu’il s’agisse d’une compétition, chaque groupe étant supporté avec ferveur par son clan, il n’y a pas de perdant à la fin de la rencontre. Tout le monde ressort gagnant, surtout les visiteurs qui profitent pleinement de ce spectacle saisissant venu d’une autre époque. Aussitôt le Hikkawase terminé, les chars reprennent leurs routes à travers les rues de Kawagoe. Le Hikkawase se produit également lorsque les chars arrivent au niveau des stands d’organisateurs de chaque quartier ou d’une des scènes installées sur le bord des rues et qui proposent de la même façon Hayashi et danse.
Les visites liées au festival de Kawagoe
Avoir la chance d’assister au festival durant un séjour au Japon est une opportunité à ne pas rater si vous êtes là au bon moment. Dans le cas contraire, le Musée du Festival permet de ressentir l’ivresse et l’émotion ressenties lors de l’événement. Alors que le passage au sanctuaire Hikawa Jinja permet ensuite d’accéder au lieu de naissance du festival, un détour par le complexe Koedo Kurari permettra lui de découvrir les spécialités culinaires et artisanales de Kawagoe.
Le Musée du Festival à Kawagoe
A l’extrémité de la zone Kurazukuri, sur la rue Chuo-Dori, qui est le site le plus remarquable et emblématique de la ville, se trouve le Musée du Festival. Relativement petit, sa visite ne coûte que 300 yens (100 pour les enfants) et des audio-guides sont mis gratuitement à disposition dès l’entrée. Pour plonger le visiteur dans l’ambiance du matsuri, de nombreuses explications sont données, documents et vidéos à l’appui. C’est surtout la présence de trois chars, deux authentiques utilisés durant le festival et remplacés périodiquement et un en construction (non achevé), ainsi que la projection d’un film explicatif de plusieurs minutes sur grand écran, qui permettent une immersion totale dans l’ambiance du festival. Si la parade des chars, les hayashi et les hikkawase constituent la partie la plus spectaculaire du festival, le musée permet de voir qu’il est bien plus que ça.

Kawagoe Matsuri Kaikan
tourist attraction- Japan, 〒350-0062 Saitama, Kawagoe, Motomachi, 2 Chome−1−10
- ★★★★☆
Le Festival de Kawagoe préserve un grand nombre de traditions de l’époque d’Edo (1603-1868) et le musée a la vocation de nous en apprendre l’historique. On apprend notamment que les marchands de Kawagoe entretenaient alors des liens étroits avec Edo, l’actuelle Tokyo, et qu’ils ont adopté de nombreux aspects de sa culture dans leur propre ville, notamment avec le festival de chars, qui existait déjà à Edo mais qui a connu un déclin à partir de l’ère Meiji (1868-1912) avant de disparaître définitivement. Cette partie historique se situe au deuxième étage du musée, avec la présentation de quelques documents et une démonstration des trois styles de Hayashi que l’on peut retrouver lors du festival. Une salle immersive enfin vous permet de véritablement vous sentir au cœur de l’événement. L’ensemble laissera une forte envie d’assister au futur festival.
Le sanctuaire Hikawa Jinja
Fondé en 540 et situé à quinze minutes de marche de la zone Kurazukuri, c’est le plus ancien sanctuaire de la ville. Il est surtout directement lié au Festival de Kawagoe qui serait né ici en 1648. Le seigneur du fief de Kawagoe, Matsudaira Izunokam Nobutsuna, aurait alors fait don d’objets festifs au sanctuaire pour encourager les habitants à organiser des festivités et la parade d’un mikoshi à travers la ville en 1651. Le Kawagoe Matsuri tire ainsi son origine de ces festivités mises en place par les habitants des dix quartiers de la ville haute et de la ville basse. Le festival est toujours étroitement lié au sanctuaire dans lequel une cérémonie se déroule au matin du premier jour. Durant ce rituel, le prêtre remet des chapeaux tressés aux représentants des quartiers participants. Le sanctuaire accueille également de nombreux événements saisonniers tout au long de l’année.

Kawagoe Hikawa Shrine
tourist attraction- Japan, 〒350-0052 Saitama, Kawagoe, Miyashitamachi, 2 Chome−11−3
- ★★★★☆
Outre son importance historique, Hikawa Jinja est encore aujourd’hui l’un des sanctuaires les plus fréquentés de la région. Il offre aux visiteurs plusieurs caractéristiques qui le rendent absolument remarquable. C’est d’abord son impressionnante porte d’entrée qui, avec ses quinze mètres de haut, est considérée comme l’un des plus grands torii en bois du Japon. Son panneau de plaques ema a été établi sous la forme d’un tunnel d’une dizaine de mètres dans lequel on peut s’engouffrer pour les admirer. C’est aussi un sanctuaire qui est censé apporter la chance en amour et nombreux sont les fidèles en quête de rencontres amoureuses qui viennent le visiter. C’est enfin un endroit magnifique pour prendre des photos en kimono, notamment au printemps pendant le hanami avec la rivière Shingashi, qui passe juste derrière. Un spectacle magnifique le long des berges.
ATRE, Koedo Kurari et le temple Seitenkyu
Kawagoe vit au rythme de son festival et des références y sont faites à plusieurs endroits de la ville. Ainsi, si vous ne pouvez assister au Matsuri ou visiter le musée, vous pouvez encore voir à quoi ressemblent un char et l’ambiance du Hayashi dès l’arrivée en gare. Le grand magasin ATRE, à côté de la sortie est, propose une petite animation au niveau des panneaux publicitaires situés au-dessus de l’entrée lors du changement d’heure, avec des mannequins danseurs et musiciens accompagnant deux dashi. Les enfants adorent ! Un peu plus loin, à la fin de Crea Mall Street, se trouve le complexe Koedo Kurari qui propose un espace unique avec boutique de souvenirs, restaurant et dégustation de saké locaux. A l’entrée se trouve un bâtiment de plusieurs mètres de haut dans lequel est entreposé un véritable dashi, visible à travers une vitre.


Koedo Kurari
tourist attraction- 1 Chome-10-1 Shintomicho, Kawagoe, Saitama 350-0043, Japan
- ★★★☆☆
Enfin, sans aucun lien avec le Festival de Kawagoe, se trouve à l’extérieur de la ville un site exceptionnel. Situé à Wakaba, quatre stations plus au nord sur la Tobu-Tojo Line, Seitenkyu est le plus grand temple taoïste du Japon. Construit en 1995 par des artisans taïwanais au milieu des champs, le site est un exemple exceptionnel d’esthétisme et de grandeur, avec ses sculptures de dragons majestueux et son architecture richement décorée. S’il vous reste deux ou trois heures sur votre programme, ce temple vaut vraiment le détour. Pour y aller, il y a des bus à horaires réguliers au départ de la gare, encore que vingt minutes de marche suffisent à le rejoindre. Situé en milieu agricole, cet édifice offre une vision purement magique. Il se visite pour 500 yens.
Seitenkyū Temple
tourist attraction- 51-1 Tsukagoshi, Sakado, Saitama 350-0209, Japan
- ★★★★☆
Comment se rendre au festival de Kawagoe
Pour vous rendre à Kawagoe depuis Tokyo, trois lignes de train existent : les lignes JR Saikyo et Seibu Shinjuku au départ de Shinjuku, et la ligne Tobu Tojo au départ d’Ikebukuro, au nord de Tokyo. Chacune de ces lignes vous permet de rejoindre Kawagoe en moins d’une heure. Il faudra descendre à la gare de Kawagoe pour les lignes JR et Tobu, et à la gare de Hon-Kawagoe pour la ligne Seibu (la zone Kurazakari est alors plus proche). Un Pass spécial incluant train et bus existe au départ d’Ikebukuro, à demander au centre d’informations situé au départ de la ligne Tobu Tojo Line.

Kawagoe
locality- Kawagoe, Saitama, Japan
- ☆☆☆☆☆
Le Festival de Kawagoe, s’il a été fortement influencé par celui d’Edo, n’a jamais cessé de se développer, notamment avec les scènes rotatives ajoutées en 1901 pour apporter toujours plus de spectacle à l’événement. La tradition s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui et offre toujours un vibrant et authentique tableau au visiteur. Si le festival est très impressionnant en journée, il prend une tout autre dimension à la tombée de la nuit, quand les lanternes des chars s’allument. Dès 6 h du matin le premier jour, l’événement s’étire jusqu’à 21 h, ponctué par les derniers Hikkawase.


Les dernières heures de la journée, lorsque les chars circulent dans les rues historiques peu éclairées de Kawagoe, spécialement dans la zone Kurazukuri ou sous le clocher, et que les participants donnent toutes leurs dernières forces pour entretenir la flamme, le Festival de Kawagoe devient phénoménal. À côté des costumes et des nombreux stands de nourriture indissociables d’un matsuri au Japon, voir la ferveur et la passion de ses participants et, à travers eux, de tout un peuple, fait la grandeur d’un tel événement.