Article réalisé en partenariat avec le « Cabinet Office, Government of Japan – The Cool Japan Public-Private Partnership Platform Project”.
Le saké, un alcool méconnu
Tour d’horizon du saké
Comment doper la reconnaissance et donc les ventes du nihonshu (communément appelé saké en français) hors du Japon ? C’est une question à laquelle les plus hautes autorités du pays accordent beaucoup d’importance. Pour preuve, ‘Cabinet Office, Government of Japan “The Cool Japan Public-Private Partnership Platform Project”’ ne lésine pas sur les moyens et n’a pas hésité à faire venir des spécialistes de gastronomie (et d’alcool) de pays étrangers, de les véhiculer et de les accueillir en grandes pompes pour obtenir leur opinion sur le sujet. Nous les avons suivis durant quatre jours et tout comme eux, avons appris beaucoup de choses passionnantes sur cet art ancestral (la plus vieille brasserie du pays a été créée en 1141 !).
Un secteur en difficulté
Commençons par un constat : le saké, au Japon, ne se porte pas très bien. Les Japonais achètent de moins en moins de nihonshu, notamment en raison d’une consommation croissante d’alcools dits étrangers (vin en tête). En plus, les régions productrices ont de la difficulté à recruter des jeunes pour récolter le riz par exemple. Le nombre de producteurs à travers le pays est aujourd’hui tombé sous la barre des mille, alors qu’il était quatre fois plus élevé au sortir de la seconde guerre mondiale.
D’où l’espoir d’augmenter sensiblement les exportations. Mais il y a du travail. « Aujourd’hui, nous estimons que seuls 20 des 80 producteurs de Nagano sont prêts pour l’exportation », analyse Monsieur Tsutomu Myazawa, responsable de l’office de promotion du saké et du vin de la préfecture de Nagano.
Visites, dégustations et conférences
Une équipe d’experts
Présentons tout d’abord les quatre prestigieux invités.
- Dana Cowin, actuellement Directrice artistique du restaurant « Chef’s club » à New-York, a été auparavant pendant plus de vingt ans rédactrice en chef de Food and Wine, un magazine gastronomique qui a pignon sur rue en Amérique du Nord.
- Jack Tse, Responsable du restaurant « Imasa » à Hong-Kong, célèbre dans le monde entier. Passionné de cuisine japonaise et de saké, il se rend régulièrement au Japon.
- Rob Sinskey est lui un célèbre vigneron de la Napa Valley, en Californie. Il ne produit que du vin bio et biodynamique et ce depuis 1991. Ses vins sont reconnus internationalement.
- Sa femme, Maria Helm Sinskey, est elle une grande cheffe dont le restaurant se trouve dans le vignoble de son époux. Les plats gastronomiques de ce dernier sont créés avec l’idée de pouvoir accompagner parfaitement des vins. Les époux Sinskey travaillent donc en collaboration.
Visites sur le terrain
Les responsables du projet ont choisi d’emmener leurs hôtes dans les préfectures d’Ibaraki (voir l’article traitant de Sudo Honkei) et surtout Nagano, la deuxième préfecture productrice d’alcool de riz, derrière l’intouchable Niigata. Durant ce nihonshu tour comme il a été baptisé par les organisateurs, nous avons alterné les dégustations de saké, les repas dans de bons restaurants accompagnés bien sûr de saké et les visites de producteurs. Nous avons rendu visite à six d’entre eux.
Deux événements médiatisés
Ces quatre jours ont aussi été marqués par six événements importants et très médiatisés. Le premier a été une réception au Tokyu Rei Hotel d’Ueda. Outre le maire de la ville (Soichi Motai) et plusieurs personnalités de la région, une dizaine de brasseurs de nihonshu, de nombreux producteurs locaux de fruits, légumes, friandises ainsi que des artisans ont présenté une bonne partie de la gastronomie et du savoir-faire de Nagano.
Nous avons en outre eu droit à une démonstration de percussions japonaises : aussi bruyant qu’impressionnant !
Le second événement a été le point d’orgue de ce nihonshu tour, à savoir un énorme symposium organisé au Metropolitan Hotel de Nagano. Dans un premier temps, les invités ont dégusté des produits de vingt brasseurs de Nagano pendant que Madame Miyako Hamano, représentante du « Cabinet Office, Government of Japan, Intellectual Property Strategy Headquarters » et deux brasseurs montaient sur scène. Une discussion de deux heures s’en est alors suivie lors de laquelle les participants ont échangé leurs opinions. Ils ont d’abord donné leur point de vue sur la situation du saké et surtout offert des pistes pour développer ce dernier à l’international.
Un objectif pédagogique
Goûter pour comprendre
Il a été intéressant au long de cette semaine de s’éduquer aux variations de goût des nombreuses sortes de nihonshu que nous avons goûtées et de voir comment les invités évoluaient dans leurs goûts, leur vocabulaire, leurs connaissances. À la fin de la semaine, tous s’accordaient sur un point : le saké offre une incroyable palette de saveurs et il y en a assurément pour tous les goûts. Du plus sec au plus doux, en passant par les différentes variétés, le répertoire est aussi étendu que pour le vin ou la bière dès que l’on s’y penche un peu.
Point de vue de restaurateur
« Pour moi, explique Dana Cowin, le plus important est de savoir qui est derrière le produit, peu importe de quel produit on parle : viande, légume ou saké… Et de connaître un peu l’histoire de tous les producteurs auxquels nous avons rendu visite me renforce dans cette idée : il y a une incroyable richesse historique et familiale derrière le nihonshu et cela doit être exploité, c’est porteur pour les clients étrangers ».
Le rôle des étiquettes
Rob Sinskey lui a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de mieux informer les clients d’outre-mer sur comment consommer le nihonshu : « C’est un alcool qui se marie parfaitement avec la cuisine japonaise bien sûr, mais aussi avec la cuisine occidentale. Il faut davantage expliquer cela, dire avec quel plat le producteur conseille de servir son alcool. Pourquoi ne pas utiliser les étiquettes au dos de la bouteille pour cela ? »
Les étiquettes ont d’ailleurs monopolisé une bonne partie des discussions. Si des désaccords persistent sur la pertinence ou nom d’écrire des mots en anglais (ou du moins dans l’alphabet romain) sur le devant de la bouteille, les invités s’accordent à dire qu’il faut mieux exploiter l’arrière de la bouteille.
Point de vue de restaurateur
Jack Tse était lui ravi de sa visite qui lui a même permis de trouver la perle rare. Il travaille avec une clientèle très haut-de-gamme à Hongkong, mais qui n’a qu’une connaissance limitée du saké. « Cet alcool est raffiné, parfait pour mon restaurant. Je cherchais cependant une marque originale, avec une histoire qui sort de l’ordinaire, car c’est ce que mes clients veulent entendre. Ils me demandent de choisir le saké pour eux, mais souhaitent que je leur parle du producteur, de l’histoire de la marque. Et durant cette visite, j’ai découvert un saké non seulement excellent à Ueda, mais surtout une marque qui représente tout cela. Je vais l’importer et le mettre au menu », se réjouit-il. Et puis comme il sera le premier à l’importer hors du Japon, ça lui donnera encore plus de valeur.
Point de vue de vigneron
Rob Sinskey est d’avis que les brasseurs manquent d’unité. « Ce sont pour la plupart de petits producteurs, ce qui est très bien et offre même une valeur ajoutée. Cependant, pour exporter, pourquoi ne pas s’unir ? En mettant plusieurs petits brasseurs ensemble, ils deviendront grands pour l’exportation. J’ai l’impression qu’il manque de collaborations, d’associations entre les producteurs de différentes régions, parfois même de la même région », détaille-t-il.
Appeler à une meilleure collaboration
À cela, Monsieur Tsutomu Myazawa, responsable de l’office de promotion du saké et du vin de la préfecture de Nagano, répond qu’en effet il y a une carence à ce niveau-là parce que cela va à l’encontre de la culture des Japonais, qui ne sont pas habitués à se vendre, à faire leur propre promotion. La solution semble donc passer par un partenaire tiers, qui serait capable de vendre le savoir-faire japonais à l’étranger tout en gardant comme clef de marketing le côté familial des brasseries.
Mieux identifier le produit
Rob Sinskey et Dana Cowin pensent qu’il faut aider les consommateurs étrangers à mieux identifier les sortes de saké, à faire des catégories, comme cela est le cas avec le vin (les bourgognes, les bordeaux, etc.). « J’ai goûté tellement de délicieux nihonshu cette semaine, mais comment s’appelaient-ils ? Je ne me souviens de presque aucun nom. Des noms en anglais faciles à mémoriser aideraient », disent-ils conjointement.
Maria Sinskey a expliqué avoir été impressionnée par la richesse de goûts et d’odeurs des nihonshu auxquels elle a goûté. Elle a d’ailleurs tenu à dire à quel point elle a été impressionnée par la richesse et la qualité des produits. Elle voit un grand potentiel de mariage de cette boisson avec des cuisines étrangères.
Jack Tse, lui aussi séduit par la boisson, secoue cependant un peu plus les brasseurs. « Il faut d’abord bien cibler la clientèle étrangère que vous visez et être prêts à sortir de votre zone de confort, car des ajustements seront à apporter au niveau du marketing, des bouteilles, des étiquettes, des noms », explique le manager du restaurant du palace hongkongais.
Quant à Rob, il voit aussi place à amélioration. « Ca peut paraître secondaire, mais je vais vous donner un exemple. On a visité énormément de producteurs, on a dégusté des boissons exceptionnelles et pourtant, à part peut-être une fois, on n’a jamais rien eu à manger avec la dégustation. C’est d’autant plus dommage que la nourriture relève le goût du saké, que cela nous permettrait d’imaginer avec quoi le servir, le marier », pointe le vigneron.
Internet, une solution ?
Au cours de ces quelques jours, des discussions sur la place d’internet et la possibilité de développer des applications pouvant traduire et facilement donner des explications simples sur le produit ont également été évoquées à plusieurs reprises.
Ce ne sont donc pas les pistes qui manquent, mais avec une telle qualité et diversité dans les produits, le saké va parvenir petit-à-petit à conquérir les palais des étrangers comme il le fait pour les Japonais depuis près de neuf siècles.
Où boire du saké à Tokyo ?
Pour les touristes venant au Japon, ce ne sont pas les occasions de boire du bon saké qui manquent, la plupart des bars et restaurants en proposent au menu.
Voici cependant deux lieux tokyoïtes de vente et de dégustation de saké que les invités à ce Nihonshu tour ont visité et qui valent le détour qu’on soit spécialiste du nihonshu ou simplement curieux. Tous les deux se trouvent au centre de Tokyo, le premier à Omotesando (Hasegawa Shoten), le second à Nishi-Azabu (Twelv.)
Alors, ça vous tente ? Si oui, n’hésitez pas à consulter les autres articles dédiés à ce thème :
- Sudohonke, l’une des plus anciennes fabriques de saké du Japon, Kasama city, Ibaraki
- Ueda : saké et friandises au cœur de la préfecture de Nagano
- Obuse, petite ville aux multiples secrets dans la préfecture de Nagano
- Principales étapes de fabrication du saké de la brasserie Masuichi à Obuse, Nagano.