Aux alentours du centre géographique de l’île de Fukue (福江), dans l’archipel de Goto, à Nagasaki, se trouve une petite épicerie fréquentée par les résidents du village rural de Kishiku (岐宿). Annexé à cette épicerie, un café plus petit encore sert quelques plats et boissons autour d’une poignée de tables discrètes. Ce café pourrait passer sous les radars de la plupart des touristes, si ce n’est pour un détail : son milk-shake à la fraise. Le lieu a beau être isolé, au milieu de nulle part, il suffit d’évoquer le café Yamauchi (やまうち CAFE) pour faire naître l’enthousiasme dans les yeux de n’importe quel habitant du coin, qui proclame aussitôt son amour pour le fameux milk-shake à la fraise du café. Intrigué, je me suis rendu en voiture jusqu’au centre rural de l’île de Fukue, pour faire la lumière sur la légende de ce milk-shake à la fraise.
Les îles Goto : cool sans chercher à être cool
Il existe des destinations qui tentent de vous séduire avec des descriptions grandiloquentes : Visitez notre sanctuaire qui remonte à la préhistoire ! Commandez un café auprès d’un serveur robot ! Assistez à un défilé électrique mené par un célèbre rongeur géant ! Goto n’a besoin de rien de tel. Goto, c’est ce lycéen avec qui tout le monde veut être ami, justement parce qu’il ne se donne pas des airs de celui trop cool pour être approchable. Vous venez à Goto parce qu’il vous met à l’aise, parce que vous vous sentez bien avec lui, parce qu’il vous permet vraiment de vous détendre, ce qui est encore trop rare dans ce monde fou du 21e siècle.
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Je m’installe tranquillement dans ma chambre au Serendip Hotel Goto (セレンディップホテル五島). C’est la première fois que je loge ici, et je suis agréablement surpris par le confort du lit et par le petit déjeuner sain et délicieux accompagné d’un café au lait qui m’attend au rez-de-chaussée. Le hall d’entrée vibre au son des discussions tranquilles des clients, mais aussi des habitants du coin qui viennent dans le café de l’hôtel durant la journée pour s’en servir d’espace de coworking. Il y règne une ambiance conviviale propice au travail, mais j’étais ici pour partir à la découverte de l’île et je n’avais que quelques jours pour accomplir ma mission. Qui consistait à ne rien faire. Je n’avais aucun autre objectif que de me plonger dans le quotidien des îles Goto, afin de vous raconter mon expérience à mon retour.
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L’authenticité de la vie quotidienne à Tomie
En descendant le long de la route 49, poursuivant votre route au-delà de l’aéroport de Goto Tsubaki, le long de la côte, en dépassant le nouvel hôtel Colorit et la plage de Koujushi (香珠子海水浴場) digne d’une carte postale, où vous pourriez apercevoir le professeur de yoga Ume-chan en train d’animer un cours au petit matin, vous arriverez enfin à Tomie (富江). En cours de route, vous serez saisis par la beauté des eaux bleues de l’océan qui clapotent doucement sur le rivage, au large desquelles des groupes de surfeurs naviguent parfois sur leurs SUP (stand-up paddleboard).
Dormir sous les étoiles au camping Sansan Tomie
Faire du camping au Sansan Tomie Campground (さんさん富江キャンプ村) est l’une des raisons qui poussent les visiteurs à se rendre à Tomie. Vous pouvez y monter votre tente pour dormir sous les étoiles, ou louer un bungalow et dormir sous un toit, ce qui ne vous empêchera pas de contempler le ciel étoilé depuis la terrasse jusqu’à tard la nuit.
Pendant la journée, je me promène le long de la côte, depuis les murs de pierre érigés dans l’eau pour y piéger poissons et crustacés à marée basse, jusqu’à une plage au sable d’un blanc éblouissant qui se fond dans la baie turquoise, dominée par le mont Onidake qui se détache sur l’horizon. Partout où ailleurs dans le monde, cette plage serait envahie de touristes couverts de lotion solaire en train de se prélasser sous les rayons de soleil, mais ici à Goto, seul un pécheur se tenait au loin sur les rochers.
Acheter de quoi cuisiner son barbecue à Nikukatsu
Si vous faites du camping à Tomie, vous partirez sans doute à la recherche de bons produits à faire cuire au barbecue. En vous promenant dans le village, vous pourriez passer devant certains des meilleures boucheries dans lesquelles vous aurez l’occasion d’entrer. Nikukatsu (ニク勝) est un boucher local, spécialisé dans des pièces de bœuf Goto wagyu, un bœuf élevé sur les îles Goto. Plusieurs restaurants de viande grillée yakiniku de l’archipel servent ce délicieux wagyu de Goto, mais Nikukatsu vous propose des morceaux que vous aurez bien du mal à trouver ailleurs.
À notre arrivée, le propriétaire de la boutique est justement en train de couper la viande, c’est donc son fils qui vient nous accueillir. Il nous présente les différents morceaux de bœuf, en expliquant que la viande vient de plusieurs fermes des îles Goto. D’après les photos et coupures de journaux affichées au mur, son frère a couru l’Enoden, la fameuse course japonaise de longue distance suivie par la quasi-totalité du pays le jour du Nouvel An. Sa sœur était, elle aussi, une coureuse de longue distance. Mais lui est boucher. Il a toujours voulu reprendre l’activité familiale, fier de leurs produits.
Ainsi, il passe un coup d’œil sur la sélection du jour, choisit les meilleurs morceaux, et disparaît dans les coulisses. Il réapparaît au bout de quelques minutes avec une assiette de wagyu fraichement grillé qu’il nous invite à déguster. Nous goûtons au « zabuton », dont le nom fait référence au coussin japonais que l’on utilise pour s’assoir dans une pièce de tatami. Grâce à la marbrure parfaitement équilibrée de la viande, chaque morceau est aussi souple qu’un coussin qui fond sur la langue.
Si vous arrivez à Nikukatsu de bonne heure, profitez-en pour goûter à leur plat éponyme, une côtelette de bœuf, hachée et frite en beignet, qui a tellement de succès que les habitants de l’île viennent en nombre, épuisant le stock en quelques heures tous les jours ou presque. Je reviendrai sans doute à Nikukatsu un jour, je ne doute pas que cette boutique sera toujours là, à m’attendre, peut-être sous la direction d’une nouvelle génération.
Réconfort et introspection au temple Myosen-ji
Le temple Myosen-ji (妙泉寺) se dresse au pied d’une petite montagne à l’extrémité de Tomie. En sonnant à la porte, on entend des pas vifs et légers s’empressant de venir pour nous ouvrir. Une femme d’une soixante-dizaine d’années nous accueille d’un sourire chaleureux. Autrefois, son mari était le prêtre principal du temple, mais depuis sa mort c’est elle qui s’occupe du lieu, aidée de son fils et de sa belle-fille. Elle m’invite à visiter le site, mais m’explique que le bâtiment principal du temple, qui était d’une grande beauté, fut détruit lors d’un incendie dix ans au paravent, à cause d’un feu déclenché par un problème électrique provoqué par des rongeurs. Malgré tout, le lieu est tranquille, désert, propice à l’introspection tout en offrant une forme de réconfort. Un ancien bosquet de bambou oscille dans le vent, au-dessus de statues de pierre arborant des expressions solennelles. Respirez.
Plus tard, la femme du prêtre nous sert une tasse de thé vert accompagné de pâtisseries japonaises wagashi. Nous discutons un peu de la danse ; il se trouve qu’elle mène un groupe de danse traditionnelle bouddhiste qui donne des représentations à Goto et parfois ailleurs à Kyushu. J’aurais dû deviner les pas élégants d’une danseuse en l’entendant venir nous ouvrir. « La prochaine fois, nous dit-elle, venez assister à notre répétition de danse, ici au temple. » Oui, très volontiers.
Kukai, Champon et Mr. Spock
Le lendemain, nous rejoignons notre guide aux environs de Miiraku (三井楽), dans le nord-ouest de l’île de Fukue. Comme notre voyage sur l’île de Sagano avait dû être annulé à cause d’une mer inhabituellement agitée, notre guide nous propose de visiter Miiraku, où il a lui-même a grandi. Premier arrêt : l’observatoire de Shirodake (城岳展望台) qui surplombe la magnifique baie de Shiraishiura (白石浦).
De là, nous roulons vers la côte nord-ouest, où de fortes rafales de vent façonnent de grosses vagues blanches qui s’écrasent sans relâche sur le rivage, nous faisant prendre conscience des dangers qui peuvent survenir en mer. D’après la légende, c’est d’ici que le moine japonais Kukai (空海) est parti en voyage vers la Chine en 804 pour ramener au Japon le bouddhisme Shingon. Étant donné le rôle majeur que jouait le port de Goto dans les voyages entre la Chine et le Japon durant la dynastie Tang, il est fort possible que ce fût le cas. Que la légende rejoigne les faits ou non, une statue de Kukai y est érigée, sous les traits d’un homme déterminé, debout et alerte, un bâton shakujo dans une main et un chapelet dans l’autre. Il est certain que Kukai est retourné ici après son séjour en Chine, influençant les pratiques de plusieurs grands temples de Fukue.
Après avoir passé la matinée à découvrir l’histoire de Miiraku et à admirer les magnifiques paysages de la côte, mon ventre me rappelle qu’il est temps de déjeuner. Notre changement d’itinéraire soudain nous laisse sans plans pour le repas du midi, mais notre guide a une idée. Il connaît un bon restaurant de Nagasaki champon, un des meilleurs sur l’île, selon lui. Quand on prétend connaître la meilleure pizzeria de Chicago, on a plutôt intérêt à savoir ce qu’on dit. « Il y a généralement une longue file d’attente à l’heure du déjeuner, nous explique-t-il, mais je vais réserver une table pour qu’on puisse y manger. » Un restaurant de nouilles sur une petite île, en pleine campagne, qui nécessite une réservation ? Plus besoin de me convaincre, j’y crois.
Le champon est un plat de nouilles originaire de Chine, qui jouit d’une grande popularité à Goto (et plus généralement dans l’ensemble de la préfecture de Nagasaki), ce qui n’a rien de surprenant étant donné les relations historiques que la région entretient avec la Chine. À la différence des ramen, que l’on prépare en ajoutant les nouilles cuites dans le bouillon, les nouilles du champon sont cuites directement dans le bouillon, absorbant toutes ses saveurs. Ce plat consistant, conçut pour nourrir les travailleurs au cours de leurs longues journées de travail, est amplement suffisant pour me rassasier, moi qui ne fait que flâner autour des îles pour observer la vie quotidienne des habitants de Goto.
Ce soir-là, je me rends dans un sunaku, un lieu propre à la vie sociale des Japonais. La plupart des sunaku ressemblent à ces bars où tout le monde connaît votre nom, mais avec le karaoké en supplément. Il doit exister quelque part une règle tacite qui dit qu’un sunaku se doit de proposer du karaoké.
Comme je ne suis pas un habitué du sunaku en question, mon ami qui y travaille à mi-temps me présente aux habitués. On me présente comme journaliste américain venu à Goto pour raconter mon expérience à des voyageurs anglophones. Il n’en faut pas plus pour susciter l’intérêt d’un des clients, qui se lève et s’approche de moi en souriant. Il déclare au barman qu’il m’offre mon premier verre et me tend une tasse de shochu, l’équivalent japonais de la vodka.
Tradition japonaise oblige, il me présente sa carte de visite. Il s’agit du président d’une grande entreprise qui siège à Goto. Bien qu’il ait bu quelques verres et qu’il ne parle quasiment pas anglais, il tente de communiquer avec moi sur un sujet qui semble avoir une grande importance à ses yeux. Je m’efforce de comprendre ce qu’il veut dire pendant quelques minutes, jusqu’à ce qu’il se redresse et me montre la paume de sa main droite, ses quatre doigts en forme de « V ». Ça y est, j’ai compris : il est fan de Star Trek et particulièrement de Mr. Spock. Je lui rends le salut vulcain, en ajoutant « Live long and prosper ! ». Il me gratifie d’un grand sourire, puis éclate de rire et remplit mon verre avec une nouvelle dose de shochu.
Une balade à vélo très zen sur les îles Goto
Will Liew a grandi à New York, mais la vie l’a mené jusqu’à Goto. Sa passion pour cette île pourrait laisser croire qu’il est né ici, mais comme beaucoup de ceux qui s’installent à Goto, il est d’abord venu ici en tant que touriste et a fini par tomber amoureux de l’archipel. À présent, Will est le seul guide anglophone à proposer des visites guidées des îles Goto à vélo.
La diversité des routes de Goto se prête merveilleusement bien au cyclisme. Que vous aimiez filer à toute vitesse sur votre vélo de route, ou que vous préfériez vous aventurer sur des chemins accidentés en VTT, Will connaîtra un circuit qui répondra à vos attentes. Pour ma part, j’ai demandé à Will le parcours « ménageons mes articulations rouillées », et il m’a fait parcourir la région d’Abunze, composée d’anciennes coulées de lave relativement plates, jusqu’à une grotte volcanique offrant une vue imprenable sur la mer de Chine orientale.
Nous roulons à travers des champs fertiles où poussent des légumes d’hiver, face à l’impressionnant mont Onidake qui se détache au loin. Enfin, nous arrivons à l’orée d’un bosquet dissimulant un chemin qui descend vers le rivage, jusqu’à la grotte de lave. C’est ici que les habitants les plus âgés venaient jouer lorsqu’ils étaient petits, mais le lieu est délaissé par les enfants d’aujourd’hui qui préfèrent explorer les mondes virtuels des jeux vidéo.
Confortablement installés à l’intérieur de la grotte, bercés par le murmure des vagues, Will nous prépare du café et des kankoromochi grillés, une collation locale faite de pommes de terre cultivées sur l’île. Puis il partage avec nous sa passion pour Goto et pour la gentillesse des habitants. Il nous explique comment il souhaite partager son amour pour le cyclisme en organisant davantage de circuits guidés autour des îles Goto, et même sur Kyushu, où il a récemment passé un mois à explorer différentes possibilités de parcours.
En discutant avec Will, je reconnais en lui les mêmes qualités présentes chez beaucoup d’autres entrepreneurs que j’ai rencontrés lors de mes visites à Goto. L’archipel de Goto est autosuffisant : sur ces îles, on peut cultiver, élever ou pêcher toute la nourriture dont les habitants ont besoin. Si Goto devenait un jour une nation indépendante, les îles ne manqueraient de rien.
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Mais les entrepreneurs de Goto veulent partager ces îles avec d’autres, car ils sont persuadés qu’il se trouve quelque chose sur ces îles qui gagnerait à être connu de tous, au-delà de leurs paysages de rêve, de leur histoire bouddhiste et chrétienne, et de leurs innombrables spécialités locales. Ce qui nous attire à Goto est aussi bien tangible qu’intangible : la bienveillance et la simplicité des habitants, leur façon d’accueillir les visiteurs non pas comme de potentiels clients, mais comme des amis. On le voit dans leurs yeux brillants accompagnés d’un sourire généreux, on l’entend dans la chaleur de leurs salutations.
Une fois rentré à l’hôtel Serendip, je repense à mes quelques jours à Goto. Comment puis-je exprimer combien les îles me tiennent à cœur ? Pris séparément, ces moments de vie quotidienne ne suffisent peut-être pas à vous convaincre de visiter l’archipel. Mais mettez ces moments bout à bout, ajoutez-y la passion et la générosité des gens de Goto, et vous découvrirez une destination extraordinaire, un lieu dont il est impossible d’ignorer la magie. Et si mes mots n’ont pas de prise sur vous, il reste toujours le café Yamauchi.
Allez-y au moins pour le milk-shake à la fraise.
Comment se rendre aux îles Goto
Se rendre aux îles Goto est plus facile que vous ne l’imaginez. Même depuis Tokyo, vous pouvez rejoindre les îles en seulement quelques heures en prenant un vol entre Tokyo et Nagasaki ou Fukuoka, puis en empruntant un autre vol de courte durée jusqu’à Fukue. Vous pouvez également emprunter le bateau jetfoil depuis Nagasaki jusqu’au port de Fukue. Si vous avez plus de temps et que vous souhaitez vivre une arrivée plus originale sur les îles, choisissez le ferry de nuit qui quitte le port de Hakata (Fukuoka) vers minuit et arrive à Fukue le lendemain matin.
Article écrit en partenariat avec la ville de Goto
Traduit de l’anglais par Cherise