En m’approchant de l’île de Fukue à bord de l’hydroptère qui avait quitté la ville de Nagasaki (長崎市) un peu plus tôt, je me demandais ce que j’allais y découvrir. Impatiente d’arpenter les plages magnifiques et d’admirer les paysages luxuriants qui attirent chaque année plus de visiteurs sur les îles Goto, je me sentais aussi intriguée par l’histoire tumultueuse du christianisme dont sont empreints ces territoires. Fukue (福江島, Fukuejima) est la plus vaste des cinq îles de l’archipel de Goto, et j’allais avoir trois jours pour découvrir les différentes facettes de son patrimoine culturel et naturel.
Plongée et snorkeling sur l’île de Yaneo
Pour rentrer dans le vif du sujet, mon voyage a commencé avec un baptême de plongée, une grande première pour moi ! Dès l’arrivée au port de Fukue, j’ai retrouvé Olivier de l’office du tourisme de la ville de Goto, et nous sommes retournés sur le quai pour embarquer sur le bateau de Goto Diving. Pendant que nous naviguions, en profitant du panorama et de la brise marine, les instructeurs ont commencé à nous décrire l’activité.
Seule ombre au tableau, la météo était loin d’être clémente et risquait de se détériorer, à en croire les prévisions météorologiques. Je croisais donc les doigts en espérant que la pluie ne vienne pas contrarier nos plans. Mais malgré la grisaille, la nature luxuriante des îlots et les eaux bleu-turquoise de la mer m’offraient un spectacle si somptueux que je me demandais à quel point le site devait être majestueux par beau temps. Lorsque j’eus formulé mes pensées à voix haute, mon instructeur ajouta qu’il s’agissait du lieu idéal pour se cacher, une référence directe aux chrétiens qui se cachèrent ici lorsqu’ils fuyaient Nagasaki durant l’époque d’Edo. Isolé et loin de tout, certainement, mais aussi un véritable petit coin de paradis.
Une fois arrivés dans la baie du nord-ouest de Yaneo, nous avons commencé à nager en surface, dérangeant à peine les poissons colorés qui peuplaient ces eaux cristallines. Mon accompagnateur local, Olivier, nous rejoignit, apportant avec lui de quoi nourrir les petites créatures marines qui nageaient avec nous.
J’ai eu l’occasion de faire du snorkeling et de nager un peu sous la surface à de nombreuses reprises, et je ne m’attendais pas à ce que la plongée m’offre une expérience à ce point différente. Grâce aux conseils de Michael, mes premières brasses sous l’eau se firent peu à peu plus naturelles, et je pus me laisser hypnotiser par ce nouveau monde qui s’ouvrait devant moi. Une expérience inoubliable qui me fit sérieusement envisager de passer une licence de plongée. Mais ce n’était que le début, il était temps de partir à la découverte des autres facettes de Fukue.
La péninsule de Miiraku, antichambre historique et culturelle du Japon
Risquant la mort, je prends la mer. J’ai déjà laissé derrière moi les confins du Japon… Ces quelques mots sont attribués à Kukai, le célèbre moine fondateur du bouddhisme Shingon qui prit part à la 16e mission japonaise envoyée en Chine. Le Jihongai, à l’extrémité septentrionale de la péninsule de Miiraku, commémore cet épisode historique et rappelle l’influence importante de ce territoire sur les évènements qui façonnèrent le Japon tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Le shochu, fierté régionale de Goto
Comme beaucoup de spécialités qui trouvent leurs origines ici, le shochu est avant tout le fruit d’échanges culturels. Arrivé au Japon depuis la Chine au 14e siècle, par l’intermédiaire des îles d’Okinawa et de Kagoshima, l’archipel de Goto fut parmi les territoires du pays à distiller cet alcool aujourd’hui indissociable de l’identité nipponne. Parmi les acteurs de Fukue qui se transmettent le flambeau de cette tradition, on retrouve la distillerie Goto Retto, une société fière de produire son shochu exclusivement à partir de produits locaux.
Ce choix du local n’est pas seulement synonyme de qualité : il résulte aussi d’une volonté d’être profitable à toute la communauté. « Nous voulons être créateurs de demande pour les producteurs locaux, afin de stimuler l’économie locale et de permettre la création d’emplois », détaille Hikaru Hamasaki, qui nous guide, Olivier et moi, le long de la chaîne de production. Ce choix et cet engagement se sont révélés payants : la distillerie parvient à se démarquer dans des compétitions, tant au niveau national qu’international.
Pendant la visite, chaque étape de la distillation du shochu nous est expliquée, ainsi que les différences entre le mugi shochu et le imo shochu, respectivement obtenus à partir d’orge et de patate douce. Ils sont les deux principaux types de shochu que l’on peut trouver au Japon. Mais le meilleur était pour la fin, avec l’opportunité de goûter à leur production. Même sans être une grande connaisseuse en matière de shochu, j’eus conscience de savourer un alcool d’exception. Les bouteilles font par ailleurs d’excellents omiyage, des souvenirs à ramener à la maison pour les offrir à ses proches. La boutique de la distillerie met également en avant quelques produits d’artisanat local et d’autres spécialités des îles.
À noter : la distillerie est très bien située, juste devant l’office du tourisme, qui est elle même à visiter pour en apprendre davantage sur les îles ou acheter quelques souvenirs.
Un atelier qui travaille le vitrail avec passion
Nous fûmes accueillis par le sourire chaleureux de Yumiko Hamasaki à notre arrivée au 538 Stained Glass Studio, à seulement 5 minutes de marche de la distillerie. Cet atelier de vitraux a créé ceux de l’église de Miiraku, ainsi que de plusieurs autres églises et chapelles de l’île. Cette forme d’artisanat venue d’Europe est arrivée au Japon au 19e siècle, lors de la construction de l’église d’Oura, à Nagasaki. Le vitrail incarne une autre facette de l’identité de l’île de Fukue, lié à son passé chrétien.
Chrétienne elle-même, Yumiko travaille le vitrail depuis 25 ans dans cet atelier, et elle a participé à la rénovation des vitraux de l’église de Miiraku peu après l’ouverture de son atelier. En plus de préserver un pan d’histoire par le biais de son artisanat, elle partage sa passion lors d’ateliers d’initiation qui rendent la création de vitraux accessible à tous. Au cours de ces ateliers, vous pourrez créer votre propre objet en vitrail, pouvant aller d’un simple porte-clefs qui prendra moins d’une heure de travail, à une lampe de bureau plus élaborée sur laquelle il faudra passer environ 3 heures. J’ai pour ma part opté pour un porte-clefs prenant la forme d’une belle fleur rouge de camélia, un petit souvenir absolument parfait.
Les somptueuses plages Takasaki et Takahama
Après en avoir tant appris sur l’histoire et l’héritage de l’île Fukue, il était temps de se relaxer. Quoi de mieux pour cela que de se rendre sur les magnifiques plages de la côte.
La plage paradisiaque de Takasaki (高崎), tout près de l’église de Miiraku, est à mon sens tout aussi belle que sa célèbre rivale, la plage de Takahama (高浜海水浴場). Moins visitée, elle est peut-être plus appropriée pour nager tranquillement en été. L’eau est turquoise, transparente et profonde, donnant envie d’y plonger pour se rafraîchir par une chaude journée d’été.
Mais il y a bien une raison pour laquelle la plage de Takahama reste la destination la plus prisée. Elle fait d’ailleurs partie des « 100 plages où nager du Japon » établit par ministère de l’environnement, et de la liste des « 100 plages remarquables du Japon » du comité central des plages japonaises.
Le sable blanc et les eaux turquoise de la plage encadrés par une nature opulente forment un paysage d’une beauté inoubliable largement à la hauteur de sa réputation. Nous sommes montés sur une colline voisine où se trouve une statue de Gyoran-Kannon pour profiter d’une vue exceptionnelle sur cette célèbre plage, et sur la plage voisine de Tontomari, tout aussi ravissante, mais davantage fréquentée par les familles, car ses eaux sont peu profondes.
Hébergement et cuisine populaires à Tamanouramachi Arakawa
La minshuku Miyako se trouve à Tamanouramachi Arakawa, un village de pêcheurs pittoresque de la côte ouest de l’île de Fukue. Ces chambres d’hôtes font partie des hébergements les plus charmants et chaleureux dans lesquels j’ai eu l’occasion de séjourner.
La pension est très populaire auprès des amateurs de pêche, car il est possible de prendre part à une sortie de pêche au lever du soleil à bord du bateau du propriétaire. Si les voyageurs attrapent du poisson, les hôtes se feront un plaisir de le cuisiner. Et croyez-moi, leur cuisine n’a rien à envier à celle des meilleurs restaurants du Japon.
L’atmosphère du lieu est particulièrement chaleureuse, et la gentillesse des propriétaires donne à leurs hôtes l’impression d’être chez eux. Lors du petit-déjeuner et du dîner, tout le monde discute de ses plans pour la journée, partage ses expériences, et fait le bilan de la pêche du jour, donnant à tous l’impression de partager un moment familial, même lors d’un séjour de courte durée.
Le restaurant Togarashi : une bouffée d’air frais, et épicé
Togarashi, qui se trouve à proximité, est un restaurant chinois raffiné relativement récent, tenu par le petit frère de Naoko Yamashita, Osera Suguru. Il est installé à l’intérieur d’une ancienne école maternelle, rénovée il y a deux ans pour devenir l’un des restaurants les plus populaires de cette partie de l’île de Fukue.
Un hébergement traditionnel dans un état d’esprit écoresponsable
Situé dans ce même petit village, Nedokoro Nora est une location de vacances aménagée dans une maison centenaire. Aménagements contemporains et style traditionnel se complètent pour offrir un espace à la fois minimaliste et chaleureux. L’une de ses caractéristiques majeures est l’absence d’air conditionné, un choix dicté par une conscience écologique engagée.
L’aménagement de cette maison tire son inspiration du livre de Yoshiyuki Yamada Une maison sans air conditionné, qui donne des pistes permettant d’optimiser l’efficacité thermique d’un bâtiment. Par exemple, l’utilisation de rideaux, qui permettent de préserver les pièces de la chaleur en faisant de l’ombre, est associée à une bonne circulation de l’air frais durant la nuit pour faire face aux températures de l’été japonais sans avoir recours à la climatisation et à son impact sur l’environnement.
La maison possède plusieurs ventilateurs, et les tissus utilisés pour la literie sont conçus pour rester aussi frais que possible. On trouve même, à l’intérieur du frigo, des coussins réfrigérants pour ceux qui auraient besoin d’un peu plus de fraîcheur pendant les nuits chaudes et humides de l’été. Les clients peuvent donc se rassurer : l’absence de climatisation ne sera pas un problème durant leur séjour sur place. Nedokoro Nora abrite enfin quelques hamacs, dans lesquels se prélasser ou faire une courte sieste.
Comment se rendre sur l’île de Fukue
L’île de Fukue, tout comme le reste des îles Goto, est facilement accessible par la mer depuis Nagasaki, soit en ferry, soit en hydroptère. La première option est moins chère, mais prend 3h, quand la seconde ne prend que 1h30. Enfin, il est aussi possible de rallier Fukue en avion, depuis Nagasaki ou Fukuoka, ce qui prend respectivement 30 et 40 minutes de vol.
Au premier abord, on est souvent attiré par les îles Goto pour ses plages somptueuses, ses paysages luxuriants, ses villages calmes et son héritage chrétien. Mais en creusant un peu, son histoire devient vite le centre de toute notre attention lorsqu’on prend conscience qu’il s’agit probablement de l’épicentre de tout ce qui fait du Japon le pays qu’on connaît aujourd’hui. Bien sûr, on ne se lasse pas de profiter de la beauté de sa nature, mais découvrir la richesse de sa culture et échanger avec ses habitants d’une incroyable bienveillance offriront à votre voyage sur les îles Goto une tout autre dimension.