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Shigaraki (信楽町) est un village de la préfecture de Shiga (滋賀県) — située à l’est de Kyoto, et célèbre pour son lac : Biwako, le plus grand du Japon. Mais les japonais connaissent Shigaraki pour une spécialité locale étonnante et populaires dans tout l’archipel : les statues de tanuki en céramique. Celles-ci sont en effet fabriquées dans ce petit village réputé pour ses poteries.

Mais Shigaraki a une autre spécificité : ce village est un modèle en matière d’intégration des personnes en situation en handicap mental. On y trouve un centre spécialisé qui met un point d’honneur, depuis l’après-guerre, à aider ses pensionnaires à avoir une vie sociale et active enrichissante, notamment grâce à la pratique de la poterie.

Un tanuki en céramique peu orthodoxe réalisé par un pensionnaire handicapé mental de Shigaraki Seinenryo
Un tanuki singulier, réalisé par un pensionnaire du centre pour personnes handicapées mentales de Shigaraki

J’ai eu l’occasion de visiter le village et le centre dans le cadre de l’événement Art Brut Creation Nippon, festival d’art et de culture des personnes en situation de handicap. Cet événement s’est tenu du 7 au 9 février 2020 dans la préfecture de Shiga sous la houlette du ministère de la culture japonais, dans le cadre de la Japan Cultural Expo.

Le village de potiers de Shigaraki et ses célèbres statues de tanuki

Les tanuki en céramique de Shigaraki

Si vous avez déjà voyagé au Japon, vous avez sans doute remarqué devant les maisons ou les boutiques ces statues en céramique représentant une animal ventru, affublé d’un chapeau de paille traditionnel appelé amigasa, bien souvent d’une bouteille de saké… et de testicules proéminentes. Les amateurs des films des studios Ghibli n’auront alors pas eu de mal à y reconnaître un tanuki, héros de Pompoko, le film d’animation d’Isao Takahata.

Le tanuki est un animal bien réel (qui ressemble un peu au raton laveur), mais ces statues représentent un yokai japonais bien connu : selon les croyances folkloriques, les tanuki peuvent se métamorphoser, le plus souvent pour jouer des tours facétieux (mais généralement inoffensifs) aux humains.

Ensemble de statues de tanuki en céramique devant une boutique de Shigaraki, Shiga, Japon
Ensemble de tanuki en céramique, dans le style typique de Shigaraki.

La popularité de cette figure de bon vivant, vénérée pour ses pouvoirs magiques mais à la personnalité si humaine, se matérialise donc sous la forme de ces statues de céramique à la popularité impressionnante… et made in Shigaraki.

Un village dédié à la céramique japonaise

Dans ce village paisible, situé dans une région vallonnée et réputée pour ses hivers froids, les ateliers de céramique sont partout. En se promenant dans les ruelles sinueuses, on a l’impression que tous les bâtiment de Shigaraki sont soit des ateliers, soit des boutiques de céramiques. On retrouve tanuki et grands pots de terre entreposés un peu partout, et des cheminées de toutes tailles et matières crées une atmosphère qui ne laisse aucun doute sur l’activité du village.

On peut y voir un grand four grimpant de style noborigama, bâti à flanc de colline et permettant d’atteindre de très hautes températures. Il date de l’ère Edo (1603-1868) et n’est plus utilisé aujourd’hui, les céramistes lui préférant des techniques plus modernes. Mais il est impressionnant de pénétrer dans les chambres de ce four parfaitement conservé, aux parois noircies par les cuissons répétées.

Où boire un café et acheter quelques céramiques à Shigaraki ?

Près du four, ne manquez pas de vous rendre au café-boutique-galerie-atelier Ogama, où vous pourrez admirer et acheter des céramiques, mais aussi déguster un café dans de la vaisselle locale en profitant d’un cadre chaleureux.

Le village compte de nombreuses boutiques et galeries. Parmi elles, je vous recommande de visiter Tanikangama (谷寛窯), à 5 minutes à pied du four grimpant. On y trouve des pièces de nombreux artisans céramistes dans un cadre exceptionnel, celui d’une ancienne fabrique. Certaines pièces sont même exposées dans l’ancien four.

Cela vaut aussi la peine de s’arrêter à Uzan-Yoh (卯山窯), où l’on trouve de belles céramiques présentées avec raffinement, ainsi que des pièces de grande taille.

Enfin, ceux qui aiment suivre les séries de la NHK peuvent découvrir à Shigaraki les lieux de tournage de Scarlet (スカーレット), le drama diffusé sur la chaîne nationale de septembre 2019 à mars 2020.

Une affiche du drama NHK Scarlett dans une boutique de céramique
Affiche du drama Scarlet, dans une boutique de Shigaraki.

Rencontre avec les céramistes en situation de handicap mental de Shigaraki

Shigaraki n’est pas seulement un village peuplé de céramistes. Depuis le début des années 1950, on y trouve un centre d’accueil pour personnes en situation de handicap qui fait le pari, alors novateur, d’intégrer ses pensionnaires à la vie locale, notamment en leur donnant la possibilité de travailler.

S’il y a eu quelques résistances auprès des habitants à l’époque, Daisuke Ishino, employé du centre et natif de Shigaraki, se rappelle avoir grandi en considérant les pensionnaires comme des membres à part entière de la vie du village. Des adultes un peu différents, qui parlent plus fort que les autres et aiment se joindre aux jeux des enfants, mais qui ont toute leur place dans la communauté locale.

Visite du centre d’accueil Shigaraki Seinenryo

Shigaraki Seinenryo (信楽青年寮) signifie littéralement « le dortoir des jeunes de Shigaraki », mais si les premiers pensionnaires, dans l’immédiat après-guerre, étaient des jeunes handicapés mentaux âgés d’une quinzaine d’années, la moyenne d’âge des pensionnaires actuels est de 65 ans.

Bien que nous ayons visité le centre un dimanche, jour de repos, certains pensionnaires sont venus nous accueillir dans leur atelier, nous montrant leurs œuvres avec fierté.

Le travail de la céramique a ici deux facettes : les personnes en situation de handicap peuvent s’exprimer à travers la création d’œuvres personnelles, mais elles peuvent aussi apprendre à maîtriser les techniques de poterie, façonner des objets utiles (tasses, assiettes, etc.) qui sont vendus pour financer les activités du centre, et pour certaines intégrer des ateliers du village comme employées.

Atelier de découverte de l’argile au Shigaraki Ceramic Cultural Center Park

Le Shigaraki Ceramic Cultural Park (滋賀県立陶芸の森) est un centre culturel dédié à l’art de la céramique, fondé en 1990. Au sein d’un grand parc, il accueille en résidence des artistes internationaux, expose des œuvres contemporaines et organise des ateliers.

Nous nous y sommes rendus le temps d’un atelier d’initiation au travail de l’argile (généralement dispensé aux enfants et aux personnes en situation en handicap). Une occasion de (re)découvrir le plaisir de malaxer l’argile qui met l’accent sur le côté ludique, mais aussi sur la créativité et le travail de collaboration.

Nous étions installés à des tables de 4 ou 5 personnes, ne parlant pas tous la même langue (puisque c’était dans le cadre d’un événement international), certains en situation de handicap (des pensionnaires du centre venus avec nous) et d’autres non. On nous a demandé de collaborer à une création collective en nous confiant une vingtaine de kilos d’argile par table… et on peut dire que les résultats ont été variés et étonnants !

Certains n’ont pas du tout réussi à collaborer et ont modelé chacun dans leur coin des objets variés, d’autres ont créé des mondes ensemble : une forêt merveilleuse, le village de Shigaraki avec quelques tanuki… à ma table, nous avons créé un monstre, fruit d’initiatives individuelles complètement déconnectées, mais qui a pu prendre forme dans la panique des 5 dernières minutes.

Tout le monde s’est plié à cette expérience avec joie, et il est indéniable qu’elle nous a aidés à communiquer entre nous malgré nos différences — à ma table : un artiste indonésien, un conservateur de centre d’art thaïlandais et une rédactrice web hongkongaise.

Art Brut Creation Nippon – festival d’art et de culture des personnes en situation de handicap

C’est donc dans le cadre du festival Art Brut Creation Nippon que j’ai eu l’occasion de découvrir Shigaraki, ses céramiques et ses initiatives en faveur des personnes en situation de handicap mental. En quelques mots, il s’agissait d’un événement international permettant de mettre en valeur l’art des personnes en situation de handicap. Et ceci au sens très large : s’il s’agissait principalement du handicap mental, tout était mis en place pour que l’accessibilité soit optimale pour les personnes handicapées physiques (interprétation en langue des signes, affichage écrit des paroles des intervenants, accessibilité pour les fauteuils roulants, etc.). La question du handicap social n’était pas non plus oubliée, notamment avec la présence d’un groupe d’anciens SDF venus de Kita Kyushu, Ikiwaraiichiza (生笑一座), qui intervient régulièrement dans les écoles pour sensibiliser les enfants avec humour.

Cet événement se composait de 5 projets : cette découverte de Shigaraki et du centre Seinenryo, une exposition d’Art Brut, la présentation de spectacles, la projection de films, et un forum — auquel participaient plusieurs personnalités françaises dont Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint Pierre, et Jean-Marc Ayrault, ancien premier ministre et maire honoraire de Nantes.

Une opportunité de découvrir l’Art Brut et les diverses formes que peut prendre la création des personnes en situation de handicap, notamment au Japon. Mais aussi et surtout l’occasion pour le Japon de réfléchir à ses politiques publiques en faveur des personnes handicapées (à l’instar de celle se Shigaraki et de son centre Seinenryo) alors qu’il s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo 2020.

Shigaraki : accès et informations pratiques

Pour plus d’informations sur Shigaraki, vous pouvez consulter le site de l’association touristique de Shigaraki (en japonais). Vous trouverez également des informations sur le village et le reste de la préfecture de Shiga sur le site de l’office du tourisme de Shiga en français ou sa version anglaise (plus complète).

Le village de Shigaraki est accessible en train et peut ensuite se visiter aisément à pied.

Depuis la gare de Kyoto, prenez la ligne JR Tokaido puis la ligne JR Kusatsu jusqu’à Kibukawa (貴生川駅) et changez pour la ligne Shigarakikogen Tetsudo jusqu’à la gare de Shiagaraki. Le trajet dure environ 1h30. Par les mêmes lignes depuis la gare d’Osaka, comptez environ 2 heures.

Article réalisé en partenariat avec la préfecture de Shiga.

Clémentine Cintré

Clémentine Cintré

En septembre 2017, je quittai la France et mon travail dans un centre de danse contemporaine pour m'installer au Japon. Quelques jours plus tard, je séjournais dans une ferme à Oita pour écrire mon premier article pour Voyapon — dont j'allais devenir rédactrice en chef deux ans plus tard. Si vous visitez Kyoto en août, il est probable que vous me croisiez lors des fêtes de Bon Odori. Deux autres de mes passions sont les îles et les chats, et ça tombe bien : le Japon a de quoi me combler dans ces deux domaines. 

4 Comments

  • Il est vrai que c’est juste à côté de Kyoto finalement et ce n’est pas un endroit où on irait naturellement ! Dès que j’ai l’opportunité d’y aller en tout cas, ce sera sans hésiter. Les petites boutiques avec des produits locaux en céramique ont l’air géniales ! Merci pour ce beau partage 🙂

  • Clémentine Clémentine dit :

    Merci beaucoup ! C’est un village vraiment agréable à visiter, surtout quand on aime les céramiques japonaises. 🙂

  • Avatar Jacques Marie Pineau dit :

    Voilà plus de 35 ans que je vis au Japon et avec votre excellent reportage, je découvre ! Il y a parfois des expositions de tableaux fort intéressants sur Tokyo mais des créations en glaise mériteraient d’être mieux connues. La prochaine fois que j’irai à Kyoto je ferai un saut à Shigaragi. Merci à nouveau pour cet article.

    • Clémentine Clémentine dit :

      Merci beaucoup pour votre message, mettre en lumière des lieux peu ou mal connus est au cœur de ce que nous souhaitons faire à Voyapon, et si mon article a pu vous donner envie de visiter Shigaraki, j’en suis ravie ! C’est un petit village, mais qui vaut vraiment la peine qu’on s’y arrête pour découvrir l’art de ses céramistes.

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