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Jamais je n’oublierai mon premier réveil à Tokyo. Debout aux aurores à cause du décalage horaire, j’ai marché jusqu’à Kameido, quartier qui m’était encore inconnu. Le soleil se levait sur le temple majestueux de Kameido Tenjin, les rues commerçantes historiques, les parcs, les maisons abandonnées, les zones résidentielles calmes et la Skytree au loin. Cette première rencontre avec Kameido m’a durablement marquée. Ce quartier m’a accueillie à bras ouverts et, pendant un an, je n’ai eu de cesse de l’explorer. Laissez-moi vous guider au cœur de la shitamachi tokyoïte.

Kameido : entre tradition, histoire et authenticité

Le terme shitamachi désigne la partie plus résidentielle, historique et populaire de Tokyo, blottie entre les rivières Sumida et Edo. Moins touristique, complètement opposée à Shinjuku ou à Daikanyama, elle possède un charme traditionnel et authentique.

Sanctuaire de Kameido Tenjin

L’attraction la plus célèbre du quartier est sans aucun doute le Kameido Tenjin. Ce sanctuaire a été établi durant la période Edo. Il est dédié à Sugawara no Michizane (845-903), un érudit, poète et homme politique vénéré comme le dieu shinto de l’apprentissage et des lettres sous le nom de Tenjin. Le Kameido Tenjin incarne à la fois un lieu de prière et un espace de contemplation pour les visiteurs fascinés par son architecture traditionnelle, son étang rempli de carpes et son superbe cadre naturel.

Les trois ponts du Kameido Tenjin ne sont pas que de simples structures décoratives. Ils possèdent une signification profonde et symbolique liée à la philosophie bouddhique et à la spiritualité shintoïste.

Traverser le pont du passé (kako 過去) est une chance de laisser ses regrets et ses erreurs derrière soi. Le pont du présent (genzai 現在) invite à vivre pleinement l’instant. Il est le seul des trois ponts à ne pas être construit en arc. Il est stable et large, reflétant l’importance de s’ancrer dans l’ici et maintenant. Le pont du futur (mirai 未来) permet de se purifier et d’avancer avec confiance vers un avenir meilleur. Ce parcours spirituel est la première chose que j’ai réalisée en m’installant à Tokyo, portée par la nature environnante. Je ne peux que vous le conseiller !

Vous l’aurez compris, le sanctuaire Kameido Tenjin est une invitation à l’introspection et à la contemplation. C’est le lieu idéal pour savourer le passage des différentes saisons, les festivals et les floraisons qui les accompagnent. Ne manquez pas ses élégantes glycines qui fleurissent au printemps, ses délicats hortensias en été, ainsi que ses pruniers ! Vous trouverez plusieurs sculptures de tortues dans le sanctuaire, en hommage à Kameido 亀戸. 亀 kame signifie tortue, et 戸 edo désigne une porte, une entrée.

À la découverte du charme rétro de Kameido

Débutons notre exploration de Kameido en nous laissant guider par son architecture préservée. Se promener au hasard de ses avenues donne toujours l’impression de voyager dans le temps. Ce quartier populaire et résidentiel offre une atmosphère traditionnelle exceptionnelle, avec sa zone commerçante historique et ses ruelles calmes.

Impossible de manquer la charmante Tenjin Dori et ses magasins de confiseries, de manju et de kuzumochi, située juste devant le sanctuaire Kameido Tenjin. Quant à la Katori Kachiun, elle est réputée pour être la rue commerçante la plus ancienne de l’arrondissement de Koto. Elle mène directement au temple Kameido Katori, le plus vieux du quartier. Je ne me lasse jamais d’emprunter cette rue. Chacune de ses boutiques nous transporte dans un Japon rétro des années 1930, en pleine période Showa.

Bien d’autres rues commerçantes vous attendent, comme la Kameido Chuo-dori connue pour être un petit Chinatown. En mai, des cerfs-volants colorés en forme de carpes rendent hommage au Kodomo no hi, le jour des enfants.

J’avoue m’être moins éternisée dans le quartier de la gare de Kameido, mais je sais qu’il propose de nombreux restaurants réputés pour leurs gyozas et leurs abats. Mon attention s’est portée sur un tout autre aspect de Kameido, que je m’apprête à vous faire découvrir.

Kameido, un quartier où le temps semble s’être arrêté

Êtes-vous prêts à plonger dans les entrailles mêmes de Kameido, celles qu’on ne voit jamais dans les guides touristiques ?

La poésie des maisons abandonnées

Autrefois prospère et animé, Kameido cache aujourd’hui un voisinage défavorisé, en proie au déclin urbain. Kameido a en effet beaucoup souffert de la crise des années 1990. De nombreuses entreprises ont fait faillite, entraînant un déclin économique inévitable. Ajoutons à cela la désindustrialisation de la zone, le vieillissement de la population et la fuite des jeunes attirés par des quartiers plus branchés comme Shibuya ou Shinjuku.

Si la construction de la Skytree visait à redynamiser la shitamachi, son aura n’est pas vraiment parvenue jusqu’à Kameido. Même si, malgré tout, la tour est constamment visible, entre deux maisons abandonnées enfouies sous la végétation.

La face cachée de Kameido rappelle une dure réalité. En s’approchant de ces maisons en décomposition, c’est l’histoire du quartier qui défile sous nos yeux. Tokyo, ce n’est pas que Ginza ou Roppongi. À travers les fenêtres sales ou brisées de Kameido, on devine la détresse, la pauvreté et l’oubli. Le béton se mêle aux plantes sauvages, les vélos rouillés et de l’électroménager archaïque se putréfient sur place. Les boîtes aux lettres débordent de courriers crasseux qui ne seront jamais lus. Il est impossible de rester de marbre face à la nature qui reprend ses droits.

Le temple Fumonin m’a également beaucoup marquée. Il ne se trouve qu’à quelques mètres du fameux Kameido Tenjin admiré de tous. Le contraste entre les deux lieux est saisissant. Fumonin dort d’un sommeil profond, complètement envahi par les insectes et par une végétation particulièrement dense. Du matériel de jardinage et des casseroles se fondent dans la terre. Quelques bâches bleues recouvrent les déchets, une barrière bloque l’accès aux curieux, mais rien ne laisse penser que ce lieu de culte reprendra vie un jour.

Cependant, je ne peux m’empêcher de voir de la poésie dans cette facette de Kameido. C’est sans doute grâce à cette partie vulnérable et fragile que je me suis autant attachée à ce lieu paradoxal, en dehors du temps.

Entre déclin et renaissance

Même si je suis très attachée au Kameido Tenjin, aux rues rétro et aux maisons abandonnées, Kameido ne se résume pas qu’à cela. C’est aussi un quartier où il fait bon vivre pour ses résidents. Les tentatives de modernisation commencent à apparaître, comme le centre commercial Kameido Clock tout neuf.

Les parcs sont nombreux, ce qui permet aux familles de s’offrir des moments de détente le week-end. J’ai adoré me promener dans le Kameido Chuo Park, bordé par la rivière Kyu-Nakagawa. Son horloge orange est reconnaissable et attirait les enfants du quartier.

Toutes les semaines, je traversais l’arrondissement de Koto pour rejoindre les terrains de baseball du fleuve Arakawa. Pour cela, je marchais sous l’impressionnante autoroute surélevée Shuto Expressway Route 7. Sous cette voie rapide se trouve le parc Tatekawa Kasenjiki. S’étirant sur plusieurs kilomètres, il a pour but d’embellir un espace urbain plutôt négligé… Il comprend de nombreux aménagements sportifs, des pistes de vélo et des aires de jeux. C’est aussi un abri idéal en été qui rappelle que même les lieux défavorisés ont droit à un petit paradis dans lequel se ressourcer.

Kameido a d’ailleurs été choisi pour être l’un des décors du film Perfect Days ! Cette œuvre est une véritable pépite, je la recommande. Vous trouverez une carte à la fin de l’article pour accéder à la maison du personnage principal.

Même si Kameido gagne en attractivité, je vois mal le quartier se métamorphoser complètement dans les années à venir. En parallèle de la construction du beau Kameido Clock, j’ai assisté à la fermeture puis à l’abandon du Don Quijote de Kameido. La mascotte de pingouin géante ternit, et rejoindra peut-être le panel des bâtiments oubliés du coin…

Se rendre à Kameido

Ce quartier est très bien desservi malgré son éloignement avec le centre-ville. Par exemple, depuis Akihabara, vous serez à Kameido en dix minutes grâce à la JR Sobu Line. Depuis Hikifune (près de la Skytree), vous pouvez prendre la ligne rétro Tobu Kameido. Enfin, si vous venez de Shinjuku, choisissez la Toei Shinjuku Line et descendez à Nishi-Ojima Station, qui se trouve à quinze minutes à pied de Kameido.

Marcher sans but dans Kameido est une expérience unique. Cet endroit vous donnera un nouveau regard sur Tokyo, loin des quartiers branchés et des néons multicolores. L’âme de Kameido me suit chaque jour. La shitamachi mérite autant notre attention que les autres lieux touristiques. Car Tokyo, c’est aussi ça.

Léa Bouzit

Léa Bouzit

Née à Thonon-les-Bains en France, je suis montée à Paris pour réaliser mon objectif : devenir éditrice manga. Après m’être plongée cinq années dans cet univers fabuleux, j’ai décidé en 2023 de me concentrer sur l’écriture pour en faire mon métier. Et quoi de mieux que de m’installer à Tokyo, la ville de mes rêves, pour commencer cette nouvelle vie ? Ma découverte préférée depuis que je vis ici : la richesse de la scène musicale indépendante tokyoïte. J’ai hâte de partager mon amour du Japon avec vous !