Le Japon est un royaume de la consommation. Les sollicitations commerciales sont partout, dans les supermarchés, les centres commerciaux (depato, デパート) et les konbini (コンビニ), ces supérettes de proximité ouvertes 24h/24. En magasin, force est de constater que le suremballage s’invite dans tous les rayons, et faire des courses sans plastique relève de la gageure. Du royaume de la consommation à la dictature du plastique, il n’y a parfois qu’un pas. Conséquence : les déchets s’accumulent à la vitesse grand V, et se pose la délicate question de leur traitement. Au milieu de ces montagnes de plastique, faisons le tri entre le poids des traditions et les espoirs issus d’initiatives écologiques.
- Le suremballage des produits alimentaires
- Pourquoi une telle abondance d’emballages et de plastique ?
- Objets jetables au quotidien
- Tri sélectif et collecte des déchets au Japon
- Le recyclage des déchets au Japon
- Objectifs du Japon en matière de traitement des déchets, d’écologie et d’environnement
- Vers la réduction et le recyclage des déchets au Japon
Le suremballage des produits alimentaires
Le Japon utilise-t-il beaucoup de plastique ? Oui, le plastique est très ancré dans le quotidien, et le Japon est le 2e producteur mondial de déchets plastiques par habitant, derrière les États-Unis. En 2018, la production nationale annuelle de plastique était de 9,4 millions de tonnes.
Difficile de faire ses courses sans faire le plein de plastique. Les viandes et poissons sont présentés dans des barquettes en plastique ou en polystyrène, recouvertes de cellophane. Certains fruits et légumes sont présentés par lots dans ces mêmes barquettes, et/ou recouverts de film plastique. Certains fruits et légumes, comme les mangues, les melons, et même les carottes ou les poivrons, sont parfois empaquetés à l’unité. Les poires, les kakis, les pêches et certains agrumes sont souvent même protégés dans un filet de polyester, qui s’ajoute à la barquette et au film plastique. Difficile d’y échapper… Même les fruits et légumes en vrac doivent souvent être emballés dans de petits sachets plastiques pour être présentés à la caisse. Et le suremballage a cours jusque dans les magasins de produits dits « naturels ».
Au souci de protection des produits vient s’ajouter l’habitude des petites portions et des portions individuelles. Les gâteaux secs sont souvent emballés dans des sachets individuels, parfois rassemblés dans des barquettes en plastique. Autant dire que gourmandise et écologie font particulièrement mauvais ménage au Japon…
Lors du passage en caisse, on a encore recours au plastique. Les barquettes de viande et de poisson ainsi que certains produits petite taille sont ré-emballés par l’agent de caisse dans un nouveau sachet plastique. Il est toujours possible de refuser poliment cet emballage supplémentaire, mais au pays du conformisme, la démarche n’a rien de naturel, et elle est souvent perçue avec surprise.
Derrière les caisses des supermarchés, des tables sont prévues pour l’empaquetage des achats par les clients ; et là encore, de nouveaux sachets plastiques sont en libre-service… Ils sont assez souvent utilisés pour éviter de salir les sacs pendant le transport.
Pourquoi une telle abondance d’emballages et de plastique ?
On l’a dit, les Japonais sont les plus grands consommateurs de plastique au monde après les états-uniens. Mais pourquoi les Japonais sont-ils si peu écolos ? Pourquoi sont-ils si accros aux emballages en général et au plastique en particulier ? Le culte de l’emballage est ancré dans les traditions, et celui du plastique trouve son explication dans plusieurs facteurs d’ordre culturel.
Au Japon, l’emballage est presque aussi important que le contenu. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les cadeaux. Les Japonais apportent un grand soin à leur emballage. Pour preuve, le furoshiki (風呂敷), la technique traditionnelle japonaise du pliage et du nouage de tissu, est un art à part entière. Même pour les biens de consommation courante, l’emballage, fût-il de plastique, est synonyme de qualité de service, et apporte au produit une touche de luxe.
Autre raison à la boulimie de plastique : c’est un gage de propreté. Le souci de l’hygiène est fondamental au Japon. Plus et mieux le produit est emballé, mieux il sera protégé. Le plastique est peu cher, résistant et hygiénique.
Le Japon est aussi une grande société de consommation, où tout pousse à acheter. Les sollicitations commerciales sont partout : dans les centres commerciaux (depato, デパート), dans le tissu commercial très dense de supermarchés, de drugstores et autres konbini (コンビニ, ouverts 24h/24), jusque sur les quais de gare, avec les kiosques à ekiben (駅弁, bento de gare), dans les rues, et parfois même jusqu’aux temples, avec les distributeurs automatiques de boissons (jidohanbaiki, 自動販売機). Le Japon doit d’ailleurs sa réussite économique à une consommation intérieure forte et soutenue.
Objets jetables au quotidien
Au restaurant, les baguettes jetables sont souvent utilisées. Certes, elles sont en bois, mais tout de même…
Ces mêmes baguettes jetables sont disposées aux caisses des supermarchés et des konbini. Les cantines sont plutôt rares, ce qui oblige les employés qui n’auraient pas apporté leur boîte à bento (弁当) à acheter leur déjeuner en portions individuelles au konbini. Au menu : des plats cuisinés dans des barquettes en plastique ou en polystyrène ; des fruits découpés présentés en barquettes plastiques, des pommes ou des bananes à l’unité dans des sachets plastiques ; et en ce qui concerne les boissons, un soda en cannette, du thé vert en bouteille plastique, ou du café latte dans un gobelet en plastique (avec paille en plastique), ou, dans le meilleur des cas, un jus de fruits en portion individuelle dans un pack en carton. Le plat réchauffé et la boisson fraîche sont emballés dans deux sacs distincts. Et voilà comment la pause déjeuner se transforme en festin de plastique…
Quand il pleut — ce qui arrive quasiment tous les jours durant le tsuyu, la saison des pluies — et quand le portique à parapluies fait défaut, des pochettes en plastique sont disposées à l’entrée des magasins, des restaurants, entreprises et administrations : les visiteurs n’entrent pas sans glisser leur parapluie dans la pochette afin de leur éviter de goutter.
Au final, les déchets plastiques représentent environ 37 kilos par personne et par an au Japon. L’emballage représente plus de la moitié des déchets des ménages japonais en volume, et près du quart en poids. Selon le ministère de l’Environnement, les emballages plastiques représentent 68 % des déchets plastiques générés au Japon.
une famille de 4 personnes génère chaque semaine
un sac rempli de déchets plastiques.
Tri sélectif et collecte des déchets au Japon
Après ces sombres constats, il faut dire que les Japonais pratiquent le tri sélectif avec minutie. Et quand on parle de tri, il est bien plus sélectif que ce que nous pouvons faire en Europe. Depuis la fin des années 1990, les municipalités ont mis mis en place des règles de tri sélectif très strictes. Elles sont récapitulées dans des livrets parfois si fournis que le tri peut vite tourner au casse-tête pour le novice.
Au Japon, il n’est pas rare d’avoir au moins 4 voire 5 poubelles différentes, à présenter à la collecte dans des sacs spécifiques : la poubelle des combustibles, celle des déchets plastiques, celle des déchets en carton, celle pour le verre, et celle pour les cannettes et conserves. Tout au moins, les déchets combustibles sont séparés des déchets non-combustibles, et au moins une catégorie de produit est triée. Le plastique est souvent séparé du carton.
Des points de collecte avec bacs de recyclage sont aussi à disposition à l’entrée de tous les supermarchés, et de certains drugstores et centres commerciaux.
Quant aux journaux, cartons ondulés, déchets non-combustibles (porcelaine, céramique, produits métalliques…), et produits inflammables, ils partent dans d’autres poubelles, qui font l’objet de ramassages distincts. Pour que les déchets soient collectés, il est souvent requis d’assembler soigneusement les journaux, briques alimentaires et cartons ondulés en fagots réguliers et ficelés.
Pour le ramassage des encombrants, il faut généralement prendre rendez-vous, imprimer un bon, et sortir le(s) objets(s) au moment déterminé, assorti du (des) bon(s). Autant dire qu’on ne jette pas n’importe quoi n’importe comment !
Bien que très strictes, toutes ces règles n’en sont pas moins généralement scrupuleusement appliquées par les résidents.
Le recyclage des déchets au Japon
Après le tri, que donne le recyclage ? Les trois quarts des déchets sont incinérés, un cinquième seulement est recyclé, et le reste est enfoui dans des décharges.
Du côté du plastique, seule une faible quantité est véritablement recyclée. Ils sont très largement triés, mais près de 80 % des déchets plastiques sont en fait brûlés. 55 à 70 % des déchets plastiques subissent un « recyclage thermique », c’est-à-dire qu’ils sont transformés par combustion en énergie thermique et en électricité. Seuls 23 % des déchets plastiques sont véritablement recyclés pour produire d’autres matériaux. Si le taux de recyclage mécanique du plastique ne décolle pas, c’est que le Japon n’est pas équipé des infrastructures adaptées au nettoyage des déchets.
Quant aux bouteilles plastiques, chaque Japonais en consomme en moyenne 183 chaque année. Mais en matière de recyclage, c’est mieux : 85 % d’entre elles sont recyclées, l’un des taux les plus élevés au monde, avec un objectif à 100 % d’ici 2030. Elles sont transformées en d’autres bouteilles, ou en tissus synthétiques.
Mais à l’échelle nationale, les capacités de stockage et de recyclage sont saturées : les usines de traitement font défaut, et l’archipel manque d’espace. Le ministère japonais de l’Environnement a demandé aux municipalités de faire leur part, en incinérant les déchets plastiques des entreprises. Mais l’incinération des déchets est génératrice de dioxyde de carbone et de gaz à effets de serre ; quant à leur enfouissement, il engendre une pollution des sols. Et les montagnes de plastique sont responsables de la pollution des mers…
Alors, en réalité, le Japon exporte la majorité de ses déchets triés. Jusqu’en 2018, près des trois quarts des déchets triés partaient vers la Chine, pour y être recyclés… ou incinérés. Mais voilà qu’en 2018, l’Empire du Milieu, en pleine expansion, a fini par bannir ces importations aussi toxiques que peu rentables. Or, le Japon était mal préparé à une telle concentration de déchets, conséquence directe de son modèle consumériste. Les exportations ont été en partie reportées vers d’autres pays d’Asie du Sud-Est : Malaisie, Vietnam, Thaïlande, Indonésie. Mais certains, comme la Thaïlande, envisagent à leur tour d’interdire ces importations. Les problèmes du plastique et du traitement des déchets au Japon sont donc loin d’être résolus…
Objectifs du Japon en matière de traitement des déchets, d’écologie et d’environnement
Le gouvernement a pris conscience du drame écologique qui se joue, et de l’urgence de la situation, tant en matière de réduction des déchets que de recyclage. La question est régulièrement à l’ordre du jour lors des différents sommets politiques. Dans le cadre du sommet du G8 en 2004, le Japon a lancé l’initiative « 3R » (Reduce, Reuse, Recycle ; Réduire, réutiliser, recycler), destinée à promouvoir une société respectueuse du cycle des matériaux. Le programme affiche pour le moment un bilan contrasté : si le recyclage a été amélioré, du chemin reste à parcourir sur les deux premiers volets, « Réduire » et « Réutiliser ». À l’occasion du G8 Environnement de Kobe en 2008, le Japon a annoncé le plan « Action Plan for Global Zero Waste Societies ». La question de la réduction des déchets plastiques était de nouveau au programme des discussions lors du sommet du G20 de 2019 à Osaka.
En janvier 2019, le Plastic Smart Forum a regroupé une quarantaine d’entreprises et d’organisations à but non-lucratif. La même année, le ministre de l’Environnement Yoshiaki Harada a présenté une stratégie de recyclage visant à réduire d’un quart les déchets plastiques à usage unique d’ici à 2030.
Ce plan ambitieux prévoyait notamment le passage à la facturation obligatoire des sacs plastiques avant fin 2020. Après quelques réticences, c’est désormais chose faite. Depuis le 1er juillet 2020, les sacs plastiques en caisse sont payants. Les commerces les facturent désormais pour une somme symbolique allant de 3 à 10 yens. Le gouvernement souhaite ainsi inciter les Japonais à revoir leurs modes de consommation. Certaines marques comme Seico Mart ont adopté des sacs en bioplastique, des matières d’origine végétale, à base de sucre ou de maïs.
Mais pour atteindre les objectifs écologiques du Japon, la facturation des sacs plastiques ne saurait suffire. Le plan de Yoshiaki Harada prévoit aussi de favoriser le recours aux bioplastiques écologiques fabriqués à partir de plantes, ou dérivés de sources renouvelables. Les chercheurs ont mis au point un plastique végétal fait en polymères biodégradables. Le Japon s’est aussi mis en quête de nouveaux partenaires du côté des entreprises. Comme partout, elles rejettent souvent la faute sur les consommateurs.
Vers la réduction et le recyclage des déchets au Japon
Pour autant, tout n’est pas noir. Certains fabricants cherchent à remplacer les emballages en plastique traditionnel par des alternatives plus écologiques. La célèbre marque Kit Kat emballe désormais ses chocolats dans des sachets cartonnés. Les enseignes de konbini font elles aussi des efforts. 7-Eleven a remplacé les emballages en plastique des onigiri par un matériau dérivé de la canne à sucre. L’enseigne Family Mart utilise désormais du plastique recyclé pour les emballages de nouilles, et Seico Mart a engagé plusieurs initiatives pour réduire sa consommation de plastique.
Largement investie dans le recyclage, Osaki, dans la préfecture de Kagoshima, au sud de Kyushu, est considérée comme un véritable modèle en matière de tri sélectif des déchets. Les déchets sont répartis dans 27 catégories, et 25 types de déchets sont entièrement recyclés. Le taux de recyclage y dépasse les 80 %, soit le taux le plus élevé du Japon.
Certains citoyens eux-mêmes s’engagent pour l’écologie au Japon au travers de collectifs et d’associations. Internet voit éclore de nombreux sites et comptes Instagram qui promeuvent la réduction des déchets et le recyclage, comme zerowaste.japan, PlasticObsessedJapan ou zerowastejapan.
Le Japon est en manque d’infrastructures et d’espace pour recycler. Une autre piste est donc explorée : construire des îles artificielles sur le plastique qui n’a pas pu être recyclé. Et c’est déjà chose faite à Tokyo ! Le quartier futuriste d’Odaiba s’est étendu sur de nouvelles îles artificielles, aménagées sur des terre-pleins et des polders de déchets plastiques recyclés. Reconstruire sur les déchets, c’est tout un symbole…
Kamikatsu, le village japonais zéro déchet
Des initiatives privées engagées voient le jour, comme le Kamikatsu Zero Waste Village, un village japonais entre les montagnes et les rizières en terrasses de Shikoku. Il s’inscrit dans le mouvement international « zéro déchet », qui promeut la réutilisation des déchets, le compost et le recyclage.
En amont, ce mouvement s’engage pour la réduction des déchets. Il encourage un système industriel plus propre, moins gourmand en produits toxiques qui souillent durablement les décharges et incinérateurs. En aval, il incite à des pratiques de consommation plus vertueuses. En ligne de mire : le « zéro déchet ».
La Zero Waste Academy de Kamikatsu coordonne ces efforts. Elle encourage les industriels à faciliter le recyclage et à lutter contre les décharges illégales, et œuvre pour faire évoluer les mentalités. Elle plaide également pour que les gouvernements locaux cessent d’incinérer les déchets dans les décharges.
Le Japon est confronté à une surproduction de plastique et à la saturation de ses infrastructures de traitement des déchets. Le sujet relève de l’écologie, mais il est aussi sociétal. Car si les industriels ont la responsabilité de l’emballage, les modes de consommation relèvent aussi de la responsabilité individuelle. Et les habitudes de consommation ont la vie dure. C’est la question de la viabilité du modèle consumériste qui se pose. Malgré une relative inertie des consommateurs et le poids des traditions, on constate toutefois une prise de conscience. Des initiatives voient le jour pour réduire la production et la consommation de plastique, améliorer les chaînes de recyclage, voire réutiliser les déchets pour construire des îles artificielles.
Bonjour
c’est un bel article, très complet. Bravo !
Toutefois une quantité me parait bizarre, très faible :
« Au final, les déchets représentent près d’un kilo par personne et par an »
Cordialement
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre commentaire, effectivement une erreur s’était glissée dans notre article, nous l’avons corrigée, ce n’est pas 1kg mais 37kg de déchets plastique par an et par habitant.