Tsuruoka (鶴岡市), dans la région du Tokohu, est une destination merveilleuse qui ravira les papilles des amateurs de cuisine japonaise. Cette ancienne ville portuaire d’envergure, située sur la route entre Osaka et Hokkaido, est surtout connue pour le site de pèlerinage bouddhiste des trois montagnes de Dewa Sanzan qui se trouve à proximité. Elle est également réputée pour ses musées, pour l’aquarium de Kamo, les onsen en bord de mer, les ruines de son château, et ses nombreuses traditions d’art folklorique.
Mais ce qui est remarquable, c’est que Tsuruoka est la première ville japonaise à figurer sur la liste très sélective des « villes créatives de gastronomie » de l’UNESCO. Des plats traditionnels, des classiques revisités, de nombreux légumes anciens endémiques de la région, sans oublier la cuisine shojin ryori, héritée des moines bouddhistes : la ville de Tsuruoka possède une véritable richesse gastronomique. Pour couronner le tout, la majeure partie de sa cuisine, y compris la shojin ryori, conviendra aux végétariens, et même aux végétaliens. Chose trop rare au au Japon pour ne pas prendre le temps de s’y attarder.
Histoire d’une cuisine saine, pleine de vie et de créativité
Tsuruoka se trouve au nord-est de l’île principale du Japon, Honshu, où la neige tombe en abondance en hiver. Tsuruoka est également à proximité du littoral et fut largement influencée par le commerce de produits alimentaires qui y avait cours il y a quelques siècles. La région est couverte de montagnes et de forêts, et fut jadis difficile d’accès. Un ensemble de facteurs qui peuvent sembler ne pas avoir de liens entre eux mais qui sont à l’origine de la gastronomie de Tsuruoka.
En hiver, quand la nourriture venait à manquer, les habitants se tournaient vers les montagnes et faisaient preuve de créativité. Ils devaient trouver les moyens de conserver et de stocker les aliments. C’est ainsi qu’est né le hozonshoku : une série d’ingénieuses méthodes traditionnelles de conservation des aliments. De nos jours, plus de 70 de ces méthodes sont encore utilisées à Tsuruoka. Heureusement, le froid, véritable épreuve, aida aussi les habitants à survivre, notamment les plus pauvres.
Un seul et unique aliment — le sasamaki (笹巻き), un gâteau de riz enveloppé dans des feuilles de bambou — permet de comprendre pourquoi la ville de Tsuruoka a été inscrite sur la liste des villes créatives de gastronomie de l’UNESCO. Étonnamment, la clé du sasamaki n’est autre que la cendre. Le mochi — ce gâteau de riz gluant — est enveloppé dans une feuille de bambou, trempé dans un mélange d’eau et de cendres de bois, ou même directement immergé dans les cendres de bambou. Puis le mochi, enveloppé dans la feuille de bambou, est bouilli dans l’eau.
La cendre a des vertus antibactériennes, et le bambou des effets antioxydants. Cela permettait à la nourriture de se conserver pendant des semaines, et offrait aux habitants des moyens de subsistance. De nos jours, le sasamaki a tendance à être consommé en dessert, assaisonné d’un sirop de sucre noir et de kinako, poudre de soja torréfié.
Les connaissances ancestrales des moines yamabushi du Dewa Sanzan
Impossible de parler de la cuisine de Tsuruoka sans évoquer les moines yamabushi. Les moines du Dewa Sanzan, les trois montagnes sacrées qui s’élèvent aux environs de la ville, vivent dans la région depuis près de 1500 ans. Ils suivent les préceptes ascétiques du shugendo, fondé au VIIe siècle par un voyageur mystique du nom d’En no Gyoja.
Sans les moines yamabushi et leur connaissance des plantes poussant dans les montagnes, la cuisine de Tsuruoka ne serait pas celle que nous connaissons. Les moines ont contribué à préserver les légumes cultivés dans les montagnes, connus au Japon sous le nom de sansai. Dans les plaines, les agriculteurs cultivaient leurs propres légumes, ce qui, avec les sansai, a contribué à sauvegarder les plantes sauvages de Tsuruoka, ainsi que son identité végétarienne.
Plus de 60 plantes anciennes existent aujourd’hui dans la région de Tsuruoka. Elles comprennent des variétés locales de navets, kakis, soja, etc. Chacune d’elles est plantée et récoltée à une période précise de l’année, et chaque culture repose sur le dévouement constant des agriculteurs locaux. Constituant ce que l’on appelle un « bien culturel vivant », elles apparaissent indispensables à l’ère des produits industriels achetés dans le commerce.
La shojin ryori, la cuisine végétalienne originale des temples japonais
Les moines yamabushi sont également à l’origine de la cuisine shojin ryori, évoquée plus haut. Autrefois indissociable de la pratique religieuse, la shojin ryori est aujourd’hui une expérience gastronomique de raffinement, connue comme la cuisine végétalienne japonaise. Elle fait de Tsuruoka et de ses restaurants de shojin ryori autant d’excellentes adresses pour les voyageurs aux régimes alimentaires spécifiques.
La shojin ryori est souvent désignée comme étant « végétarienne » ou « végétalienne ». La shojin ryori bouddhiste des origines était en effet végétarienne, dans le but d’observer les préceptes du Bouddha prônant la non-violence envers les animaux. Cette cuisine se voulait également le reflet de la vie stricte et dépouillée des moines : une existence épurée, au plus près de la nature, accordant une grande attention aux détails, et scrupuleusement soucieuse de la qualité. Après la conversion de Dewa Sanzan au shintoïsme, ces principes bouddhistes ont évolué, et la shojin ryori s’est adaptée à la philosophie shintoïste. Elle est désormais vue comme un moyen de capter l’énergie de la montagne et de purifier le corps.
« Shojin » est un terme lié à l’ascétisme qui vise à atteindre l’illumination. « Ryori » signifie tout simplement cuisine. Il fallut des siècles, de l’introduction du bouddhisme au Japon au VIe siècle, jusqu’au XIIIe siècle, pour que la shojin ryori se fasse une place au Japon dans le sillon des influences du bouddhisme zen. À partir de ce moment-là, le terme shojin ryori commença à désigner la forme de cuisine que l’on connaît aujourd’hui.
De nombreux ingrédients entrent dans la composition de la cuisine shojin ryori. Les huiles de sésame, de noix et de colza sont essentielles. Les légumes de saison marinés (tsukemono ou pickles) servent à équilibrer le repas, à le lier à la terre, à l’instar du thé. Dans la préparation de la shojin ryori, il est important d’utiliser le légume dans son intégralité, y compris la peau et la feuille. L’utilisation de l’eau, du sel et de l’huile doit être réduite au minimum. Les aliments sont souvent cuits à l’étuvée. La sauce soja et le sel peuvent servir à rehausser les légumes ainsi cuits, de même que des graines de sésame grillées. Cette méthode de cuisson révèle la saveur naturelle des aliments, souvent masquée dans la cuisine moderne truffée de produits chimiques. On comprend aisément qu’une telle approche de l’alimentation séduise les personnes soucieuses de leur santé, comme les végétariens ou les végétaliens.
Les aliments traditionnels japonais réinventés
Jusqu’à aujourd’hui, la ville de Tsuruoka a su préserver son patrimoine culturel alimentaire en y incorporant de nouvelles saveurs, de nouvelles méthodes de cuisine et de cuisson, venues du Japon et du monde entier. Conscients de la réputation et de l’histoire de Tsuruoka, les chefs régionaux sont dans l’innovation permanente.
Okimizuki, le restaurant du maître du fugu (poisson-globe) Suda Takeshi, sert ainsi un menu élaboré à partir d’ingrédients qui auraient été transportés depuis le sud par des navires marchands au XVIIe siècle. Parmi ces ingrédients figurent le bambou moso et l’anguille de Kyoto, ancienne capitale du Japon. Le menu complet est disponible sur le site internet du restaurant — les prix restent tout à fait raisonnables au regard du travail nécessaire à la préparation de chacun des plats.
Les végétariens (ainsi que ceux qui se permettent de manger du poisson) et les végétaliens seront heureux à Tsuruoka, mais les amateurs de viande seront aussi les bienvenus. Les plats à base de porc, en particulier le tonkatsu, sont très répandus. Le cochon fut l’un des premiers animaux domestiqués de la région. On dit que la viande de porc doit sa saveur au souci des éleveurs régionaux de leur apporter une alimentation de qualité.
Parmi les autres restaurants de la région, on peut citer Takitarō, Naa, Shunsai Sakura et les shukubo (gîtes pour pèlerins), sur le mont Haguro. Tous accompagnent généralement leurs repas de poisson ou de fruits de mer, mais les végétariens peuvent demander un repas sans poisson. Il est recommandé de réserver à l’avance.
Comment aller à Tsuruoka ?
Depuis la gare de Tokyo, prenez le shinkansen Toki jusqu’à la gare de Niigata, puis prenez l’Inaho Limited Express jusqu’à la gare de Tsuruoka (鶴岡駅, Tsuruoka-eki) (4 heures). Depuis la gare d’Akita, prenez l’Inaho Limited Express jusqu’à la gare de Tsuruoka (1h50). Tous les établissements de restauration de la ville sont accessibles à pied. Pour vous rendre à l’auberge Shukubo, près du mont Haguro, prenez le bus allant de Tsuruoka à Haguro Zuishinmon (羽黒随神門 ) (37 minutes).
Tsuruoka, une expérience culinaire unique et raffinée
Lorsqu’on visite Tsuruoka, la gastronomie de la ville peut faire partie de son périple ou être au cœur même de son voyage. L’histoire de la région est intimement liée à son climat, aux efforts des agriculteurs locaux pour préserver les cultures traditionnelles, à son lien au bouddhisme, à sa propre identité. Que vous soyez végétarien ou végétalien, la région a beaucoup à vous offrir. Assurez-vous de tirer le meilleur parti de votre visite en découvrant la gastronomie variée de Tsuruoka.
Article écrit en partenariat et photographies gracieusement fournies par DEGAM Tsuruoka Tourism Bureau
Traduction : Marie Borgers