La TAKUMI Road longe la côte ouest du Japon, de la préfecture de Fukui à la préfecture de Niigata, une région plus généralement appelée Hokuriku. Axée sur les ports historiquement névralgiques de la mer du Japon, la route passe par des villes où culture, histoire, et industries traditionnelles sont toujours aussi vivaces. Durant les hivers longs et froids de la région, les agriculteurs et les artisans se retrouvaient souvent coincés chez eux, sans pouvoir faire grand chose, et ils ont développé de nouvelles activités. De nombreux agriculteurs et artisans savaient forger et travailler le fer, afin de façonner eux-mêmes les outils et objets du quotidien dont ils avaient besoin, et certains en firent leur activité. Mais d’autres métiers d’artisanat virent le jour pour répondre aux besoins des aspects culturels et religieux du Japon de l’époque, comme le travail du cuivre et la fabrication de papier.
Le mot « takumi » signifie « maître artisan » : une personne dont le savoir-faire est admiré, y compris par ses pairs. Les maîtres artisans de la TAKUMI Road travaillaient à créer des objets qui puissent durer au lieu de tenter de produire le plus possible. Cette tradition visant à faire passer la qualité avant tout le reste est aujourd’hui encore source de fierté pour les artisans de cette région.
C’est cette attention particulière portée à leur qualité qui rend les produits d’artisanat de la TAKUMI Road quasiment légendaires aux yeux du monde. Des chefs de renommée internationale s’y rendent pour avoir l’honneur de rencontrer le maître forgeron dont le nom est gravé dans leur lame santoku favorite. Les responsables de productions s’émerveillent devant l’attention portée aux détails durant chaque étape du processus de fabrication de ciseaux ou de coupe-fils. On vient ici toucher du doigt le cœur et l’âme de la qualité japonaise, convoitée dans le monde entier.
Le sud-ouest de la TAKUMI Road passe par Takaoka, dans la préfecture de Toyama, et Echizen, dans la préfecture de Fukui.
Takaoka est une ville située entre les montagnes sauvages de la préfecture et la spectaculaire baie de Toyama, l’une des plus belles du Japon. En 1609, la famille Maeda, qui régnait sur le domaine de Kaga depuis la ville voisine de Kanazawa, fonda la ville de Takaoka autour du château de Takaoka, conçu par le célèbre seigneur samouraï Takayama Ukon, un proche de la famille Maeda. Bien que le château n’existe plus, Takaoka a conservé une atmosphère de ville fortifiée. Forte de plus de 400 ans d’histoire, artisanats traditionnels, festivals, et bâtiments historiques subsistent encore de nos jours dans la ville.
Durant les deux premiers jours de mon voyage sur la TAKUMI Road, j’ai pu voir de mes yeux ce savoir-faire à l’œuvre, notamment en visitant un atelier de cuivre martelé, en découvrant des forges traditionnelles, et le processus de fabrication des meilleurs ciseaux de coiffure du Japon. Durant les deux prochains jours, je continue mon immersion dans l’artisanat japonais en visitant les villes de Takaoka et d’Echizen.
Troisième jour : découverte des maîtres artisans de Takaoka et de l’histoire hors du commun de la ville
Débutez votre journée par une visite du magnifique temple de Takaokayama Zuiryu-ji. Édifié par Maeda Toshitsune, le troisième seigneur du domaine de Kaga, en l’honneur de son père, Toshinaga, Zuiryu-ji se distingue par sa conception magnifiquement symétrique. Depuis l’entrée du temple, on s’aperçoit que la porte principale (Somon), la porte du temple (Sanmon), la salle du Bouddha, et la salle de prière sont chacune parfaitement alignées les unes avec les autres. La salle du Bouddha est par ailleurs encadrée avec précision par l’ouverture carrée de la porte du temple, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art accrochée à un mur. Les coursives qui partent du bâtiment sont parfaitement rectilignes et donnent au temple une atmosphère extraordinairement équilibrée et apaisante. J’ai beau avoir eu la chance de visiter une multitude de temples à travers le Japon, le Zuiryu-ji est pour moi une œuvre architecturale historique unique en son genre. Il n’est donc pas si surprenant que la porte du temple, la salle du Bouddha et la salle de prière aient tous été désignés trésors nationaux du Japon.
Takaokayama Zuiryu-ji Temple 35 Seki-honmachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Promenez-vous dans le quartier historique de Yamamachisuji, dont les rues sont bordées d’entrepôts traditionnels japonais. De nombreux bâtiments sont été rénovés par de petites entreprises modernes, tout en conservant leur structure d’origine datant du début du XXe siècle. Le lieu parfait pour une marche relaxante qui vous plonge dans l’histoire de Takaoka, et peut se poursuivre par une visite du fascinant musée de Takaoka Mikurumayama (高岡御車山会館) où l’on peut découvrir en détail l’un des plus célèbres festivals de Takaoka et du Japon.
Le musée rend hommage au festival de Takaoka Mikuramayama, vieux de 400 ans, au cours duquel sept immenses chars richement décorés, appelés dashi, défilent dans la ville. Les origines du festival remontent à 1609, quand le premier seigneur de Kaga, Maeda Toshiie, fit don de son char impérial à son fils, Toshinaga, qui l’offrit à son tour aux habitants de la ville. De nos jours, les chars offrent à voir le travail des artisans de Takaoka, qui excellent dans le travail du métal, la laque, la teinture, et le tissage. Dans le musée, vous pourrez vous approcher suffisamment près des chars pour admirer les détails de ces imposants dashi, dont les roues recouvertes de feuilles d’or font presque la taille d’une personne. Certains de ces dashi sont même dotés de poupées qui se déplacent à l’aide de mécanismes automatiques, une technologie très avancée pour l’époque où ils furent construits.
Ce festival, qui attire chaque année au mois de mai des milliers de visiteurs venus des quatre coins du Japon, est l’un des plus beaux festivals du pays. Mais pour vraiment apprécier la splendeur de ces chars, rien ne vaut une visite de ce musée, qui permet de les admirer depuis le rez-de-chaussée et depuis l’étage, afin de découvrir toute l’étendue du savoir-faire des artisans de la région.
Takaoka Mikurumayama Museum 47-1 Moriyamamachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Après votre visite du musée, dirigez-vous vers Nousaku, une entreprise qui se trouve dans la banlieue de Takaoka, dans la zone industrielle « Office Park » créée pour revitaliser les industries de la préfecture de Toyama. Nousaku, c’est une usine, mais aussi une salle d’exposition, un café, et un atelier d’initiation pour ceux qui voudraient s’essayer au travail des métaux et mouler de petits objets, guidés par les artisans de l’usine. Lorsque Nousaku débuta son activité en 1916, l’usine fabriquait des objets utilisés dans les autel bouddhistes, des ustensiles à thé, et des vases à fleurs, mais la manufacture crée aujourd’hui des objets en étain, laiton, et autres matériaux, et dont la conception innovante est adaptée aux modes de vie modernes.
Notre groupe s’est lancé dans la fabrication de petits récipients en étain en forme de cœur, au cours d’un atelier d’initiation de 90 minutes. Le processus était complexe, mais grâce à l’aide bienveillante de l’artisan qui nous guidait au cours de chaque étape, depuis la fabrication du moule à partir de sable jusqu’à la fonte de l’étain, nous avons pu repartir avec de beaux souvenirs que nous avions façonnés nous mêmes. Cette initiation nous a donné un aperçu des nombreuses compétences nécessaires à la fabrications de ces objets, dont certains aspects sont restés quasiment inchangés depuis des siècles.
Il est également possible de visiter l’usine, dont on peut observer les ateliers depuis des fenêtres à l’étage supérieur, puis d’admirer les différentes créations produites à Nousaku dans le hall d’exposition. On y trouve également un élégant café et une boutique, si vous avez un creux ou que vous désirez ramener de petits cadeaux à la maison.
NOUSAKU 8-1 Office Park, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Quatrième jour : moulages artisanaux dans les quartiers historiques de Takaoka
Le lendemain matin, commencez votre journée par une visite à pied de Kanayamachi, au autre quartier historique de Takaoka. Depuis le début des années 1600, on produisait dans cette région des pièces en fer moulé destinées aux objets du quotidien comme des casseroles et des bouilloires, et aux outils agricoles comme des charrues ou des houes. Maeda Toshinaga, le deuxième seigneur du domaine de Kaga, invita sept fondeurs de métaux exerçant à Nishibu-Kanaya, dans la ville voisine de Tonami, à s’installer à Kanayamachi, où l’on trouve encore de nos jours de nombreuses boutiques spécialisées dans ce type d’artisanat. Kanayamachi est considéré comme le berceau de la dinanderie de Takaoka, cœur de la dinanderie japonaise.
Les maisons qui se succèdent ici le long des rues pavées, arborent des devantures en treillis traditionnels senbon-goshi-zukuri. En se baladant, on s’imagine sans trop de difficulté ce à quoi devait ressembler le quartier durant les siècles passés, et le cliquetis du métal qui devait résonner dans les rues, depuis les ateliers situés à l’arrière des maisons. Si ces rues sont plus calmes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient alors, on y trouve en revanche des boutiques et des musées fascinants.
Vous vous arrêterez d’abord au Takaoka Metal Casting Museum, pour en apprendre plus sur les 400 ans d’histoire de l’industrie du métal à Takaoka. Ce petit musée contient un grand nombre d’expositions dans lesquelles on peut découvrir des documents historiques, des pièces en métal coulé permettant de comprendre les premières techniques de moulage, et une grande variétés d’outils utilisés dans cette industrie. La plupart des explications ont beau être en japonais, ce qu’on peut y voir nous donne un aperçu de l’ensemble des objets qui ont été et continuent d’être fabriqués à Takaoka.
Metal Casting Museum 1-5 Kanayamachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Rendez-vous ensuite au studio de moulage Risaburo, où l’on moule des objets en métal depuis plus d’un siècle, pour vous initier à ce procédé de fabrication. Le maître artisan du studio vous guidera dans la création de votre propre objet en étain.
Notre groupe a choisi de fabriquer un carillon. On nous a donné un moule de sable ayant déjà la forme du carillon, et nous avons pu y graver les motifs que nous voulions y faire apparaître. Une étape qui s’est avérée être un petit défi, puisque les motifs que nous gravions à l’intérieur du moule devaient être inversés, à la manière d’une image réfléchie dans un miroir, pour apparaître tels que nous le désirions. Les résultats dépendirent de la patience avec laquelle chacun de nous s’attela à la tâche, mais ce fut un excellent processus d’apprentissage. Ceux qui préfèrent un objet moins difficile à concevoir pourront choisir parmi les nombreux modèles proposés, notamment des petites assiettes ou des sous-verres.
Risaburo 8-11 Kanayamachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Vous pourrez vous rendre, en quelques minutes de marche, à l’un des sites les plus célèbres de la ville : le Grand Bouddha de Takaoka. Cette majestueuse statue de bronze de 16 mètres de haut est très représentative du savoir-faire qui fait la renommée de Takaoka. Il est connu pour être l’un des « trois Grands Bouddhas du Japon« , avec le Bouddha de Nara et celui de Kamakura. Dressé près du centre ville, on comprend aisément la valeur patrimoniale que ce Grand Bouddha revêt pour la ville. À une si grande échelle, les détails de conception et la qualité du savoir-faire à l’œuvre sont clairement visibles. On notera qu’il s’agit de la troisième version de la statue, réalisée en 1933 ; les deux premières étaient en bois et furent détruites par des incendies.
Le Grand Bouddha de Takaoka 11-29 Otemachi Takaoka City, Toyama Prefecture |
Entre deux visites, prenez le temps de profiter des quartiers historiques de la ville, à l’exemple de Kanayamachi, le vieux quartier où vivaient et travaillaient de nombreux artisans. Aujourd’hui, nombre de nouvelles entreprises s’y sont installées, cohabitant avec celles qui y sont implantées depuis des siècles. Kunimoto vend des objets modernes et traditionnels en laque, ornés d’incrustations faites en coquillages et en pierres semi-précieuses. La galerie Otera Kohachiro Shoten, installée dans une maison historique, vend les produits de nombreux artisans de la région de Takaoka, tandis qu’en bas de la rue, Kisen crée des objets stylisés en métal, verre, et bois, en utilisant des techniques et des motifs traditionnels. Les amateurs de cérémonie du thé trouveront à Kinjudo tout un éventail de produits en fonte, y compris les bouilloires utilisées lors de la cérémonie du thé.
KUNIMOTO 64 Kommadashimachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Otera Kohachiro Shoten 6-9 Kanayamachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Yotsukawa Seisakusho Ltd. (Kisen) 6-5 Kanayamachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Koryo Kinju-do 2-1-16 Miyukimachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Faites une pause au Latticeword Brewing Taphouse pour goûter à la bière artisanale de Takaoka tout en savourant un repas de style occidental. Le propriétaire parle parfaitement anglais et se fait une joie de discuter avec ses clients.
Latticework BREWING Tap House (Facebook) 3-15 Kanayamachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Il existe deux très bonnes adresses où passer la nuit à Takaoka, selon ce que vous recherchez. Kane no Sanzun propose une paire de maisons rénovées situées en plein cœur du quartier de Kanayamachi, qui raviront ceux qui veulent goûter autant au luxe qu’à la tradition. Le propriétaire n’a pas ménagé ses efforts dans l’aménagement et la décoration de ces maisons, qui sont de véritables musées de l’artisanat de Takaoka. D’un style moderne japonais, chaque maison est dotée de lits luxueux, de grands bains privatifs, et d’une cuisine équipée dans laquelle vous pourrez préparer vos propres repas. Un séjour inoubliable dans un vaste logement rien que pour vous.
L’autre adresse se trouve à côté de la gare de Takaoka : le Takaoka Manten Hotel Ekimae. Idéalement situé à proximité des transports, des magasins, et des restaurants, l’hôtel Manten conviendra parfaitement aux voyageurs en quête d’un logement confortable et pratique.
MINKA Villas Kane no Sanzun 4-12 Kanayamachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Takaoka Manten Hotel Ekimae 1-8 Suehiromachi, Takaoka City, Toyama Prefecture |
Cinquième jour : Le raffinement des maîtres couteliers d’Echizen
Prenez un train à Takaoka pour vous rendre à Echizen, dans la préfecture voisine de Fukui. Au VIIIe siècle, durant la période de Nara, c’est ici que se trouvait la capitale de la province d’Echizen, ce qui fit de la région un des centres politiques, économiques, et culturels de cette époque. Des dizaines de temples et de sanctuaires y furent érigés, dont une bonne partie sont spécifiques à Echizen et jouissent toujours d’une grande popularité auprès des habitants de la ville. Echizen a su conserver son charme historique, grâce aux bâtiments traditionnels et aux anciennes maisons qui bordent toujours les abords des temples et des sanctuaires de la ville.
Depuis des siècles, on y produit de nombreux objets d’artisanat traditionnel japonais, notamment les couverts d’Echizen, des tansu (coffres), et du papier washi. Les temps ont changé, les clients également, mais l’incroyable savoir-faire et le dévouement que les artisans d’Echizen portent à la qualité de leur travail demeurent exceptionnels.
Votre première visite à Echizen vous mènera à la périphérie de la ville, dans un atelier partagé par 13 fabriquants de couteaux, un collectif connu sous le nom de Takefu Knife Village. Autrefois concurrents, ces artisans travaillent désormais en coopération pour promouvoir la coutellerie d’Echizen et protéger le secteur de la coutellerie traditionnelle qui existe ici depuis 700 ans. La qualité des couteaux fabriqués dans cet atelier est reconnue dans le monde entier, et certains étrangers font le déplacement jusqu’au Takefu Knife Village uniquement dans le but de rencontrer le maître artisan qui a forgé leur couteau préféré.
Le village comprend un vaste atelier partagé que l’on peut visiter, un hall d’exposition où découvrir et acheter les couteaux fabriqués par les artisans, et divers ateliers d’initiation permettant aux visiteurs de fabriquer leur propre couteau ou d’autres objets. En fonction de l’intérêt que vous avez pour le sujet et du temps que vous pouvez prendre, les ateliers peuvent prendre quelques heures ou s’étendre sur deux jours, les initiations les plus longues vous permettant de prendre part à quasiment toutes les étapes de fabrication de votre propre couteau, avec l’aide d’un artisan local. (Si vous souhaitez participer aux programmes les plus longs, il est recommandé de parler japonais couramment ou d’engager un traducteur.)
Notre groupe a participé à l’atelier le plus court et le plus simple : fabriquer son propre ouvre-lettres. Bien que l’initiation ne dure environ que 90 minutes, nous avons participé à de nombreuses étapes de la fabrication de nos ouvre-lettres, que cela soit choisir la forme que nous voulions leur donner et la tracer sur le métal, limer les contours, ou imprimer à coups de marteau des motifs sur la lame. À la fin de l’atelier, aucun de nos coupe-lettres ne se ressemblaient, et nous pûmes tous repartir avec un souvenir original à ramener chez-nous.
La visite de l’atelier se fait depuis une plateforme d’observation. Surplombant l’atelier, elle permet d’observer les différents espaces dans lesquels les maîtres artisans forgent, martèlent, et affûtent leurs couteaux. Quand toutes ces activités ont lieu simultanément, l’atelier peut être assez bruyant, l’une des raisons pour lesquelles le Takefu Knife Village a été déplacé du centre d’Echizen pour s’établir à son emplacement actuel. Mais la chaleur de la forge, les gerbes d’étincelles, et le son sec des marteaux peuvent vous faire sursauter, en particulier lorsque vous visitez le hall d’exposition pour découvrir les produits finis.
Takefu Knife Village 22-91 Yokawacho, Echizen City, Fukui Prefecture |
Partez ensuite visiter l’atelier de coutellerie Ryusen Hamono. Ici, chaque couteau est une œuvre d’art, il est donc naturel que son hall d’exposition soit également extraordinaire. Les couteaux sont exposés dans le magasin à la manière de pièces de musée ; au centre, un comptoir permet d’apprécier la qualité des lames. Prenez l’un des couteaux exposés et servez-vous en pour trancher une carotte ou un morceau de polystyrène souple imitant la texture et la densité du pain. Ces lames ne sont pas seulement belles, elles sont aussi incroyablement efficaces.
Derrière le comptoir, une immense peinture de dragon rappelle les origines des motifs « ryusen-rin » en forme de gouttelettes qui ornent les lames de Ryusen. On dit que ces motifs sont produits par des gouttelettes tombant du corps des dragons, des créatures légendaires autrefois vénérées au Japon. Cette légende mettant en scène des dragons peut sembler farfelue, mais il existe un fait indiscutable à propos des couteaux de Ryusen : ils sont fabriqués selon les mêmes techniques utilisées il y a près de 700 ans pour forger les sabres japonais katana.
Trouvant l’équilibre parfait entre solidité, tranchant, et esthétique, rien d’étonnant à ce que les couteaux Ryusen soient convoités dans le monde entier pour leur qualité. Ce fut un honneur de rencontrer les maîtres artisans qui créent de leurs mains ces lames magnifiques et qui perpétuent avec passion les traditions de leur artisanat.
Ryusen Hamono Co., Ltd. 92-5-6, Ikenokami, Echizen City, Fukui Prefecture |
Les temples historiques d’Echizen et les coffres artisanaux echizen-tansu
Après avoir pris le temps d’admirer le savoir-faire des couteliers d’Echizen, dégourdissez-vous les jambes en flânant dans les rues historiques de la ville. Vous trouverez, à l’ouest de la gare JR Takefu, un quartier historique bien préservé où se côtoient d’anciens sanctuaires, des temples, et des petits commerces. Une bonne partie des temples qu’on trouve ici existent depuis des siècles, et abritent de merveilleux trésors au sein de bâtiments dotés de magnifiques jardins.
Yoganji est l’un des ces temples particulièrement impressionnants. Il fut construit en 1471, peu de temps après la fondation de la ville. Yoganji tire partie des artisans de la ville, comme vous le découvrirez lors de votre visite. Entre le hall caverneux de Mido qui semble briller de mille feux grâce à de nombreuses décorations en feuille d’or, et le jardin Goten, que les hôtes de marque pouvaient admirer depuis le palais du temple, on se laisse émerveiller par l’immense savoir-faire des artisans ayant travaillé dans la conception du temple, qui apparaît jusque dans les moindres détails du bâtiment.
Mido Yogan-ji Temple 3-10 Hommachi, Echizen City, Fukui Prefecture |
Après avoir passé un agréable moment à visiter le temple de Yoganji et ses trésors, promenez-vous à Tansu-machi, un quartier qui regroupe les boutiques des artisans fabriquant les coffres d’Echizen. Oyanagi Tansu Kobo, un fabricant de coffres tansu établi ici depuis 1907, sera votre dernière visite de la journée.
Selon Oyanagi Norikasu, l’artisan de la boutique, quatrième descendant de son fondateur, trois techniques sont essentielles à la fabrication des coffres d’Echizen. La premières s’appelle le « sashimono ». Il s’agit d’assembler des éléments en bois sans utiliser de clous. La deuxième consiste à utiliser des ornements en métal, polis à l’aide de soie grège et enduits d’huile de camélia pour les protéger de la rouille. Enfin, le bois est laqué couche après couche, pour protéger le bois et lui donner des couleurs plus profondes. Mais le plus important de tout : chacune de ces étapes sont effectuées par l’artisan lui-même, et non pas sous-traitées par d’autres entreprises.
Oyanagi-san nous fit visiter sa boutique et son atelier, de sorte que nous pûmes nous rendre compte du travail que représente chacune des trois étapes de fabrication d’un echizen-tansu. Il nous a invité à essayer son rabot, retirant des pellicules de bois si fines qu’elle sont translucides. La tâche n’était pas aussi simple qu’Oyanagi-san tentait de nous le faire croire, et nous avons ri les uns des autres devant nos tentatives.
On a beau fabriquer ici des coffres echizen-tansu depuis des centaines d’années, Oyanagi-san innove toujours. Il nous a montré quelques exemples nés de son travail créatif, comme des coffres que l’on verrouille à l’aide de clefs magnétiques, des coffres qui doivent être ouverts dans un ordre spécifique, à la manière d’un puzzle, dissimulant des tiroirs où cacher ses objets de valeur, et même une sorte d’enceinte pour iPhone très astucieuse, construite selon un procédé de fabrication identique à celui des coffres, qui permet d’amplifier votre musique sans nécessiter d’électricité.
Oyanagi Tansu Kobo 10-7 Takefuyanagicho, Echizen-city, Fukui Prefecture |
Sixième jour : les maîtres du papier washi à Echizen
Pour la dernière journée de votre voyage le long de la TAKUMI Road, découvrez l’un des artisanats traditionnels les plus anciens de la région : la fabrication du papier washi. La légende raconte que le déesse Kawakami-Gozen est apparue aux villageois de la région il y a 1500 ans et qu’elle leur a enseigné l’art de la fabrication du papier. Selon la déesse, la région ne bénéficiait pas de grand chose mis à part d’une très bonne eau, une ressource qu’ils devaient donc mettre à profit pour fabriquer du papier. Quelle que soit l’origine du papier washi d’Echizen, il est de nos jours encore réputé dans l’ensemble du Japon pour sa grande qualité.
Débutez votre journée en visitant Washiya Sugihara. Cette papeterie vieille de 150 ans occupe aujourd’hui un entrepôt construit il y a plus d’un siècle, transformé en galerie et en boutique. Le papier qu’on fabrique ici se retrouve dans des usages haut de gamme, servant par exemple de support à des impressions d’art ou de matériel utilisé dans la décoration d’hôtels de luxes. Prenez le temps de flâner dans la boutique, où l’on trouve quantité d’articles inhabituels à base de papier washi, comme des porte-cartes de visite, des portefeuilles, ou des protèges livres.
Washiya Sugihara Washipaper, Inc. 17-2 Oizucho, Echizen, City, Fukui Prefecture |
Partez ensuite à la découverte d’un sanctuaire construit en l’honneur des origines légendaires de la fabrication du papier washi d’Echizen : le sanctuaire d’Okamoto Otaki. Il s’agit du seul sanctuaire du Japon dédié à Kawakami-Gozen, la déesse mentionnée précédemment qui fit découvrir aux villageois d’Echizen les secrets de la fabrication du papier.
Au pied d’un montagne, niché au milieu des arbres, ce sanctuaire est un lieu sacré qui, au fil temps, fit corps avec la nature. Son architecture unique en son genre lui valu d’être désigné bien culturel important du Japon. Le toit est enchevêtré d’une manière inhabituelle qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. À côté du sanctuaire, un rocher recouvert de mousse, et surmonté d’une lanterne de pierre entourée d’une corde shimenawa, semble avoir traversé les siècles sans changer d’apparence.
Okamoto-jinja Shrine, Otaki-jinja Shrine 13-1 Otakicho, Echizen, City, Fukui Prefecture |
L’un des plus grands ateliers de production manuelle de papier washi du Japon, Iwano Haizaburo Seishisho, se trouve à proximité du sanctuaire. Nous avons visité l’atelier en compagnie d’Akiko Tamamura, une artisane possédant plus de 6 décennies d’expérience dans la production de papier washi. Malgré, ou peut-être grâce à, sa longue expérience, elle parle de l’art de la fabrication du papier avec passion et dévouement. Elle nous fit même l’honneur, à un moment donné, de chanter pour nous une chanson traditionnelle que les travailleurs entonnaient autrefois durant leurs longues journées de labeur.
Dans cet atelier, on produit du papier depuis plus de 150 ans. Difficile de ne pas remarquer que la plupart des artisans sont des femmes ; peut-être cela a-t-il quelque chose à voir avec la légende de Kawakami Gozen, qui était elle-même une déesse. Akiko nous suggéra que cela venait peut-être du fait que les hanches des femmes étaient particulièrement adaptées au doux mouvement de balancier effectué durant la fabrication du papier. Se servant d’un bac d’eau appelé suki bune, les artisans travaillent par paire, synchronisant leurs mouvements pour fabriquer les feuilles de papier une à une. Parvenir à créer un papier de la bonne épaisseur est un art à part entière qui peut demander des années de pratique pour être parfaitement maîtrisé. L’atelier produit l’une des plus grandes feuilles de washi du Japon, d’environ 2 mètres sur 2,7 mètres, ce qui nécessite le travail d’une équipe de quatre personnes.
Iwano Heizaburo Seishisho Co., Ltd. 27-4 Otakicho, Echizen, City, Fukui Prefecture |
Après avoir vu comment les artisans de la TAKUMI Road fabriquent du papier washi, vous voudrez peut-être essayer d’en faire autant. Direction la vaste boutique Echizen Washi Village et l’atelier Papyrus House, dans lequel les visiteurs peuvent apprendre à fabriquer leur propre papier washi.
Une fois que vous aurez fait le tour de la boutique, qui propose de nombreux articles à base de papier washi provenant de 67 ateliers différents à Echizen, il est temps de vous rendre à l’atelier Papyrus House, où vous pourrez concevoir et façonner votre propre set de cartes postales en papier washi. Un artisan guidera vos geste à chacune des étapes de fabrication : on prépare d’abord la base de son papier à partir de fibres végétales ayant trempé dans l’eau, on y ajoute ensuite des éléments de décoration, comme des feuilles ou des fleurs, puis une touche de couleur à l’aide de colorants, avant de finalement faire passer notre papier dans un séchoir sous vide qui élimine l’excédent d’eau. Une expérience agréable que vous aurez peut-être envie de renouveler, alors si vous avez du temps, fabriquez plus de feuilles de washi ! Car cette initiation nous a permis de comprendre pourquoi Akiko-san avait toujours le sourire après avoir passé plus de 60 ans à fabriquer du papier.
Echizen Washi Village 8-44 Shinzaikecho, Echizen, City, Fukui Prefecture |
Où dormir et où manger à Echizen
Tout en visitant des ateliers et en rencontrant les maîtres artisans de la TAKUMI Road, ne passez pas à côté d’une autre spécialité de la région : sa cuisine. Les eaux de la mer du Japon le long du littoral d’Echizen regorgent de délicieux fruits de mer, tandis que les eaux de sources descendant des montagnes alimentent des cultures de riz, de sarrasin, et de légumes.
Suya est une charmante auberge à proximité d’Echizen Washi Village, et sert des plats de la cuisine traditionnelle d’Echizen, variant en fonction des saisons. Depuis la salle à manger, on profite d’une belle vue sur leur jardin japonais muni d’un ancien pavillon de thé. Pour une somme modique, il vous sera même possible de prendre votre repas à l’intérieur du pavillon de thé, lorsqu’il est disponible.
SUYA 29-41 Awatabecho, Echizen-city, Fukui Prefecture |
Le luxueux restaurant Mantani se trouve au cœur du quartier des temples d’Echizen. Installé dans un bâtiment historique décoré avec élégance, le restaurant sert une cuisine de style kaiseki préparée à la perfection à partir des meilleurs produits d’Echizen, ce qui fait de Mantani l’adresse idéale pour passer une soirée dans une atmosphère intime.
MANTANI 3-1-3 Kyomachi, Echizen-city, Fukui Prefecture |
Il est impensable de visiter Echizen sans goûter à ses célèbres soba. Saiya, au sein d’Echizen Washi Village, sert d’énormes bols de soba d’Echizen, épais et savoureux, accompagnés de daikon râpé et épicé, et de copeaux de katsuo (bonite séchée).
Saiya 9-15 Shinzaikecho, Echizen, City, Fukui Prefecture |
L’Izakaya Oishinbo Heychan est aussi divertissant que son nom le porte à croire. Ce restaurant, proche de la gare JR Takefu et de quelques grands hôtels, propose un immense choix de plats et de boissons. Si vous êtes un peu perdu, les propriétaires se feront une joie de vous aider à choisir des plats en fonction de vos goût, n’hésitez pas à leur demander de l’aide !
Izakaya Oishinbo Heychan 2-17 Horaicho, Echizen, City, Fukui Prefecture |
Pour ce qui est de se loger à Echizen, rien ne vaut le Super Hotel Echizen & Takefu, un hôtel construit récemment qui propose des chambres propres et confortables à quelques minutes de la gare.
Super Hotel Echizen, Takefu 2-15, Horaicho, Echizen-city, Fukui Prefecture |
Lorsque je parcours le Japon de long en large, je suis constamment émerveillé par de tels endroits, et je me demande comment j’ai pu ne jamais en avoir entendu parler auparavant. Après avoir passé six jours sur la TAKUMI Road, à rencontrer des maîtres artisans qui perpétuent l’artisanat traditionnel de la région avec tant de passion, je me rends compte que bien peu de voyageurs sont conscient de l’existence d’un tel lieu et de sa culture. Mes amis, vous voilà à présent avertis. Alors n’hésitez à voyager le long de la TAKUMI Road pour découvrir une facette du Japon que peu de gens ont l’occasion d’entrevoir.
Article écrit en partenariat avec le Hokuriku-Shin’etsu District Transport Bureau
Traduit de l’anglais par Joachim Ducos