En approchant du petit port d’Inujima (犬島), la première chose que je vis furent les deux kanji qui composent son nom (chien-île) peints à l’aérosol sur la digue. En débarquant sur le quai flottant amarré à une énorme chaîne rouillée, la première chose que j’entendis furent les grincements du pont menant au rivage. Et la première chose qui me vint à l’esprit, en marchant vers les ruines d’une raffinerie de cuivre datant du début du XXe siècle, fut que je me trouvais dans un décors rétro post-industriel plutôt cool. Mais il ne s’agissait que d’un fragment de l’histoire de l’île.
Inujima, une des îles de la mer intérieure de Seto regorgeant d’art contemporain, est particulièrement fréquentée pendant la Triennale de Setouchi, où son décor steampunk sert de scène à des spectacles en plein air. Si Inujima est bien plus petite que les deux îles les plus célèbres parmi celles qui accueillent la triennale, Naoshima et Teshima, la réappropriation à la fois astucieuse et éco-responsable de son passé industriel éclipse à elle seule toutes les autres installations artistiques de ces îles.
De 1909 à 1919, Inujima connut des années prospères grâce à sa raffinerie de cuivre, une activité inévitablement polluante. Suite à la chute du prix du cuivre, l’usine fut peu à peu abandonnée, l’île vit sa population diminuer, et les habitants retourner à des modes de vie plus ruraux. Aujourd’hui, Inujima ne compte plus qu’une trentaine d’habitants, tandis que l’île a connaît une renaissance artistique.
Le musée d’art Inujima Seirensho
Depuis 2008, les ruines de la raffinerie ont été reconverties en musée d’art écologique : l’Inujima Seirensho Art Museum (犬島精錬所美術館) expose non seulement des installations artistiques permanentes, mais la température du bâtiment est régulée à l’aide de sa cheminée, la lumière naturelle y est détournée à l’aide de prismes et de miroirs, on y fait du compost avec les déchets pour fertiliser une orangeraie et les briques de scories noires (karami renga) de sa structure d’origine sont réutilisées.
Cette réappropriation ingénieuse du patrimoine industriel d’Inujima, on la doit à l’artiste Yukinori Yanagi, qui dès 1995 élabore un plan de développement pour transformer l’île toute entière en site d’art, et à l’architecte Hiroshi Sambuichi, qui réussit à transformer ces ruines, « en utilisant ce qui existe pour créer ce qui sera » selon ses propres mots.
À l’intérieur du musée, Yanagi installe des œuvres inspirées de la vie et de l’œuvre du romancier japonais Yukio Mishima, qui s’est toujours acharné à dénoncer la modernisation du Japon. Les installations incorporent différents éléments d’une maison démontée qui appartenait à Mishima lui-même, rendant son message encore plus viscéral.
À part les ampoules symboliques qui font partie des œuvres, le musée ne contient aucun éclairage ni climatisation électrique : il est éclairé à l’aide de lumière naturelle réfléchie et l’air circule grâce à l’énergie géothermique et solaire, en faisant remonter la chaleur par la cheminée. Il est presque aussi fascinant de ressentir les changements de température que de regarder les fenêtres et les portes suspendues balayées par le vent à l’intérieur de la serre au pied de la cheminée.
Dehors, les silhouettes des anciennes colonnes de cuivre dominent encore le paysage, même si elles sont progressivement récupérées par la nature. Je ne peux m’empêcher d’admirer les ruines immobiles des murs de briques soigneusement encastrées, avec leurs tons sombres et leur texture brûlée, même en sachant que ces scories noires résultent du processus polluant de la raffinerie du cuivre.
Cependant, Inujima est aussi connue pour des pierres plus brillantes : Inujima Mikageishi (犬島御影石), un granit de qualité supérieure qui est mesuré et vendu, notamment pour la reconstruction des châteaux et des sanctuaires (dont le Château d’Okayama, le Château d’Osaka et le torii de Kamakura Hachimangu). J’examine de plus près ces grands blocs dorés en marchant le long de la côte près du port.
Inujima “Art House Project”
Grâce à la superficie plutôt compacte de l’île, je peux facilement visiter chaque site d’art, y compris toutes les installations de l’Inujima “Art House Project” (犬島「家プロジェクト」), dans l’après-midi. Cette intimité me donne le sentiment d’appartenir à l’île moi aussi, en faisant le tour du quartier pour rendre visite aux résidents (qui partagent les lieux avec plusieurs chats et deux chiens).
Depuis 2010, la directrice artistique Yuko Hasegawa commissionne des œuvres à des artistes internationaux pour les exposer dans des galeries en plein air conçues par l’architecte Kazuyo Sejima. Intégrées aux quartiers résidentiels de l’île, ces « maisons d’art » alphabétisées font également partie du projet de restauration du village et recyclent les tuiles et les anciens matériaux de construction des maisons privées. Les installations d’art sont faites de pierre et/ou de bois local, de verre acrylique transparent, de miroirs, ou d’aluminium qui reflètent leur environnement de façon à créer de nouvelles perspectives sur ces paysages familiers.
Inujima Life Garden
Depuis 2016, Inujima Life Garden (犬島 くらしの植物園) est un jardin botanique collaboratif étendu sur 4500 mètres carrés autour d’une ancienne serre abandonnée.
Un système de purification de l’eau pompe l’eau d’un puits, la filtre à travers les plantes et la stocke dans un réservoir. On y trouve des toilettes sèches, et des poulets mangent les mauvaises herbes et produisent de l’engrais pour le sol. Les ateliers et les activités communautaires sont plus fréquents au printemps et en été, où les visiteurs et résidents travaillent ensemble pour cultiver et entretenir le jardin. Life Garden est un projet en cours de développement qui encourage l’autonomie et constitue un modèle pratique pour imaginer de futurs modes de vie.
Inujima Seirensho Art Museum, Inujima “Art House Project” et Inujima Life Garden sont ouverts de 9h30 à 16h30, fermés le mardi (du 1er mars au 30 novembre) et du mardi au jeudi (du 1er décembre à fin février), avec des exceptions pour les jours de fête. *Les heures d’ouverture changeront à partir de décembre 2020. Consulter le calendrier sur le site officiel avant de venir. Achetez un billet d’entrée (¥2100) à la billetterie (Inujima Ticket Center) près du port pour avoir accès aux trois sites artisitques de l’île.
Inujima Swimming Beach
À marée basse, on peut prendre un chemin de pierres depuis le Life Garden jusqu’au site de camping isolé au sud-est d’Inujima. Le camping comprend des plateformes numérotées (deck sites), des douches, des toilettes, et un accès direct à une plage de baignade en forme de croissant. Si vous préférez vous asseoir pour apprécier le paysage, une rangée entière de chaises en pierre « Moai » vous attend sur le rivage.
Deck sites de l’Inujima Camp Site
Chaises en pierre « Moai »
Comment se rendre à Inujima
La gare d’Okayama (岡山駅) est accessible par la ligne de shinkansen Tokaido, à un peu plus de 3 heures de Tokyo, à 1 heure de Kyoto, ou à 35 minutes d’Hiroshima. Vous pouvez également y accéder par d’autres lignes de train avec un Japan Rail Pass.
Pour se rendre à Inujima à partir de la gare d’Okayama, prendre le train JR jusqu’à Saidaiji 西大寺駅 (17 min), puis un bus jusqu’à Nishi-Hoden 西宝伝 (30 min). Depuis le port d’Hoden (宝伝港), un petit bateau vous emmènera jusqu’à l’île en une dizaine de minutes. Inujima est également accessible depuis les ports de Teshima (豊島) et de Naoshima (直島). Consulter les horaires complets de ferry sur le site web de Benesse Art Site Naoshima.
Si Inujima est la plus petite des trois plus célèbres îles d’art contemporain de la mer intérieure de Seto, la réappropriation artistique et écolo-architecturale de son lourd patrimoine industriel en fait un joyau incontournable. Rendez-vous à Inujima avant la prochaine Triennale de Setouchi en 2022 !
Article écrit en partenariat avec la ville d’Okayama