Au fil de ses pérégrinations dans l’Archipel, le voyageur aura toujours l’opportunité de découvrir d’innombrables temples et sanctuaires sur son chemin, des plus connus et réputés aux plus confidentiels, nichés dans des endroits teintés de mysticisme. Certains nous marquent plus que d’autres, et chaque visite de ces lieux de culte procure des sensations différentes selon ses sensibilités. Pour ma part, c’est la visite du temple Daihonzan Eiheiji, dans la préfecture de Fukui, qui m’a profondément marqué et qui a obnubilé mes pensées pendant de très longs mois. Ce temple fut un véritable coup de cœur comme on n’en vit que trop peu !
C’est lors d’une belle journée d’automne, fraîche, mais ensoleillée, que ce coup de cœur s’est produit. Je me vois encore arriver en ces lieux et tomber sous le charme de ce temple masqué par une sublime forêt de cèdres séculaires. Le lieu ne se dévoile au visiteur qu’au fur et à mesure de son avancée à travers cette nature luxuriante, qui, au mois de novembre, se pare de ses plus belles couleurs chatoyantes. On foule les pavés de pierre et on gravit les premières marches pour franchir le seuil de la porte… avant que la magie n’opère et nous transporte dans un monde onirique et mystique, absorbé par la force du lieu et de la nature environnante qui nous fait oublier les secondes qui s’égrènent. La découverte du temple Eiheiji peut commencer et les souvenirs se graver !
Eiheiji, lieu de culte du bouddhisme zen au Japon
Le temple Daihonzan Eiheiji a été fondé en 1244 par Dogen Zenji, grand maître zen et fondateur de l’école Soto du bouddhisme zen au Japon. Surnommé le « temple de la Paix éternelle », Eiheiji jouit d’une situation géographique d’exception qui lui confère une atmosphère des plus reposantes. Situé au cœur des montagnes, en harmonie avec la nature, le temple a toujours été un lieu privilégié pour les enseignements du bouddhisme zen, devenant ainsi l’un des deux principaux temples de l’école Soto. Dogen Zenji y enseignait à ses disciples la pratique du zen à travers chaque action quotidienne.
Aujourd’hui encore, plus d’une centaine de moines consacrent leur vie à cette pratique. C’est d’ailleurs l’un des points forts du temple qui est toujours en activité. Il n’est pas rare de voir des moines traverser silencieusement, à pas feutrés, les nombreux couloirs du complexe avant de disparaître derrière une porte dérobée. La première vision de ces jeunes moines, pieds nus l’hiver comme l’été, m’a immédiatement interpellé ; je me suis rendu compte de la force physique et mentale de ces adeptes qui choisissent de quitter le conformisme de nos sociétés pour suivre des préceptes de vie qui vont à l’encontre de nos habitudes. On admire alors ce ballet de va et vient avec nos yeux, gardant en mémoire ce tableau unique, photographier les moines étant naturellement interdit.
Une architecture en harmonie avec la nature et le zen
Plus de 70 bâtiments de tailles variées, tous disséminés dans la montagne, composent le temple, un nombre qui permet de se rendre compte de la grandeur et de l’importance d’Eiheiji. Le tracé emprunté par les visiteurs permet de découvrir avant tout les sept bâtiments principaux, appelés Shichido-garan, qui jouent un rôle essentiel dans l’enseignement du zen. Parmi eux se trouve le hatto, un grand bâtiment construit en 1843, où les moines se réunissent pour leurs services. Quant au sodo, c’est l’espace où les moines pratiquent la méditation zen, mangent et dorment. Il faut savoir que dans plusieurs zones du temple, dont le sodo, il est strictement interdit de parler. L’espace alloué à chaque moine force le respect : un demi-tatami pour rester éveillé et un tatami pour dormir.
Parmi les cinq autres bâtiments principaux, je me rappelle encore avec émotion la découverte du butsuden. Cette structure centrale abrite trois statues représentant les trois générations de Bouddha (Bouddha, Maitreya et Amida), qui symbolisent le présent, l’avenir et le passé. Entre ces murs, on ressent une profonde émotion spirituelle, amplifiée par la beauté de la nature environnante. Lors de ma première visite, je suis resté ébahi par le spectacle offert par le cadre naturel, prenant le temps de contempler avec délectation les magnifiques cèdres séculaires, les nombreux érables japonais et la mousse omniprésente. Le cadre est enchanteur et change de visage selon les saisons, avec une préférence personnelle pour les couleurs de l’automne et le manteau blanc d’hiver.
Profiter du temple Eiheiji de façon unique
On aimerait parfois, un peu égoïstement, voler un instant de calme suprême dans un tel lieu. Il est, en effet, assez rare de s’y retrouver seul, bien que la préfecture de Fukui soit l’une des préfectures les plus calmes du Japon question tourisme. Mais pour vivre un moment paisible et unique dans l’enceinte d’Eiheiji, je ne peux que vivement conseiller de passer une nuit au Hakujukan, un établissement situé à quelques pas de l’entrée du complexe. Ce ryokan haut de gamme, géré par les équipes du temple, est un havre de paix après une belle journée à explorer Eiheiji. Les lits sont confortables, les chambres vastes, les bains chauds revigorants et les repas servis font la part belle à la gastronomie locale, raffinée et délicate.
Mais dormir au Hakujukan, c’est surtout avoir l’opportunité de participer au premier service du matin. Le fait de vivre ce rite matinal dans un tel cadre s’est transformé chez moi en souvenir impérissable. Assister à ce service, auquel prennent part une centaine de moines, est une expérience unique. Tôt le matin, les lieux sont baignés dans un calme olympien et recouverts d’un noir ébène. Et l’atmosphère de l’aube, qui réveille progressivement la nature environnante et la faune locale, est absolument magique, en contraste avec l’animation de la journée. Les sûtras chantés par la centaine de moines résonnent encore dans ma tête, comme un tourbillon rythmé de paroles minimalistes. Le temps d’un instant, Eiheiji est à nous, rien qu’à nous ! Et cela, c’est inestimable…
Dès mes premiers pas sur les traces des moines du temple, j’ai su que cette visite ne serait pas comme les autres. Depuis ce jour, Eiheiji est devenu l’un de mes endroits coups de cœur les plus chers à mes yeux au Japon, un souvenir impérissable qui trotte constamment dans un coin de ma tête. Ma seconde visite, lors d’un mois de janvier enneigé, n’a fait que confirmer ma fascination pour ce lieu. Et depuis la mise en service en 2024 d’une liaison directe en shinkansen entre la gare de Fukui et Tokyo, je n’ai plus d’excuses : une troisième visite s’impose !