A chaque préfecture du Japon ses traditions, ses spécialités culinaires et son artisanat. Partons aujourd’hui du côté de Yonago, dans la préfecture de Tottori, à la rencontre d’une artiste locale et sa spécialité : le Yumihama-gasuri, un tissu en coton teint à l’indigo et tissé à la main.
Le Yumihama-gasuri, un artisanat traditionnel vieux de 300 ans
Commençons peut être par nous attarder sur le mot Yumihama-gasuri qui peut sembler un peu complexe à la première lecture mais qui prend tout son sens une fois décortiqué. Gasuri, ou kasuri, est tout simplement le nom que porte une technique de tissage traditionnelle japonaise et son préfixe Yumihama désigne la péninsule de laquelle elle est issue, tout à l’ouest de la préfecture de Tottori.
Une technique de tissage qui repose sur la création d’un motif blanc sur fond indigo grâce à un minutieux procédé de teinture. Avant même de passer au tissage, il faut ainsi teindre son fil de coton en prenant soin d’en recouvrir les parties qui serviront à créer le motif, afin qu’elles restent bien blanches.
Ces très beaux tissages aux motifs géométriques étaient à l’origine fabriqués par des femmes de milieu agricole pour habiller leur famille dans un tissu robuste tout en apportant une touche de gaité. Depuis plus de 300 ans, cet artisanat traditionnel local, utilisé pour un usage personnel et familial, a été transmis de génération en génération, jusqu’à être désigné aujourd’hui comme Artisanat National Traditionnel et Bien Culturel Immatériel Important de la préfecture de Tottori.
Plants de coton bio au pied du Mt Daisen
Mais avant d’aller faire un tour dans l’atelier de Sumi San, jeune artiste locale, pour aller voir de plus près ces techniques artisanales, commençons par le commencement, à savoir : les plants de coton.
Direction donc la petite exploitation bio et familiale d’Osamu et Tomiko, de laquelle provient le coton utilisé par Sumi San pour la fabrication de son Yumihama-gasuri.
Si l’on sait tous ce que c’est que du coton, on a bien souvent une image du produit travaillé en tête, sous forme de tissu ou bien de petits disques démaquillants. Mais il est finalement plutôt rare d’avoir déjà vu du coton sur son plant, en pleine nature.
Les plants de coton que je découvrais ici ne sont pas très hauts, plutôt de la taille d’un buisson. Très vert en apparence, on distingue très vite de petites boules blanches suspendues aux branches lorsque l’on s’en approche. Sur chaque plant, on peut ainsi voir le coton se former petit à petit. Avec une fleur jaune dans un premier temps, se transformant par la suite en une sorte de bourgeon vert, avant de prendre sa forme définitive, des petites boules de fibre blanche renfermant les graines de coton. Invitée à en cueillir, j’ai pu sentir la petite touffe blanche se détacher très facilement.
Sumi San m’explique que deux types de coton poussent ici, dont un de très bonne qualité appelé coton « Hakushu ». Il est naturellement très blanc et ne nécessite aucune décoloration après récolte, contrairement à du coton meilleur marché qui tend plutôt vers le beige.
Du coton brut à la bobine de fil
Une fois à l’atelier de Sumi San, véritable caverne d’Ali Baba où outils traditionnels, créations de l’artiste et petits grigris sont rassemblés sous un même toit, nous commençons par travailler ce coton brut, en séparant la fibre des graines.
Une tache qui peut sembler plutôt simple sur le papier mais qui s’avère finalement assez fastidieuse, les graines étant bien entremêlées dans la fibre de coton. Plutôt que de faire ça à la main, un outil permet d’accélérer un peu le processus. Le mouvement est le même qu’avec les machines servant à fabriquer les pâtes fraîches, avec deux rouleaux placés l’un contre l’autre que l’on fait tourner grâce à une manivelle. Au lieu de pâte fraîche, on fait glisser ici entre les deux rouleaux les petites boules de coton.
Les graines étant trop épaisses pour se faufiler dans l’interstice, elles s’accumulent d’un côté, tandis que de l’autre ressort la fibre de coton égrainée. Un coup de main à prendre mais une manipulation finalement assez facile.
Prochaine étape : démêler la fibre de coton afin de la préparer au filage. Deux techniques peuvent ici être utilisées avec l’aide de deux types d’outils différents. Sumi San me montre tout d’abord deux brosses, similaires à des brosses pour poils de chien. Après avoir placé une petite quantité de coton sur l’une des deux brosses, il suffit de la frotter contre la seconde de façon assez énergique pour lisser le tout.
Je commençais à peine à prendre de l’assurance avec ce geste là qu’elle me montre un second outil en forme d’arc, constitué d’un bout de bambou courbé avec un fil tendu entre chaque extrémité. Et oui, le coton peut être lissé avec cet instrument là ! Il suffit de placer un peu de coton autour du fil et de le faire vibrer jusqu’à ce que cela dénoue les fibres du coton, comme par magie !
Dernière étape avant de passer au tissage, le filage du coton. Nous nous installons cette fois ci près d’un rouet (itoguruma en Japonais), cet outil ancien en forme de roue, qui vous dira sans doute quelque chose si vous connaissez l’histoire de la Belle au bois dormant…
Une étape assez technique, nécessitant plusieurs mois de pratique avant d’être maîtrisée, qui permet de voir comment, très concrètement, on peut passer de la matière brute à la bobine de fil qui pourra être tissée. Assis tout près du rouet, on enveloppe avec la main gauche le fil qui est déjà préparé sur la machine avec un peu de coton brut, tandis que l’on place la main droite sur la manivelle. Il s’agit ensuite de tourner la manivelle tout en étirant le fil de l’autre main, qui s’étoffe au passage des fibres de coton que l’on a dans la main.
Bien sûr le fil casse régulièrement lors de mon essai, mais la sensation de sentir le fil sortir de sa main est fascinante ! Un peut comme regarder une araignée créer sa toile.
Initiation au tissage
Avant de passer au tissage, Sumi San m’explique qu’entre le filage et le tissage vient normalement l’étape de la teinture à l’indigo. Une étape qui nécessite pas mal de temps et de matériel additionnel qu’elle ne prépare pas dans son atelier. Elle créé ses design et s’en remet ensuite à d’autres artisans pour la partie teinture.
Pour la dernière étape, donc, de la fabrication de Yumihama-gasuri, nous voilà désormais face à l’impressionnant métier à tisser, qui occupe la majorité de l’espace de l’atelier ! Une création en cours de l’artiste est visible et permet de bien se rendre compte de ce que donne le fil de coton une fois teinté puis soigneusement aligné et tissé pour créer le motif souhaité.
Sumi San s’installe comme face à un piano et démarre alors une démonstration millimétrée des gestes précis à effectuer. Passer le fil dans un sens, vérifier l’alignement du motif, appuyer sur l’une des deux pédales, serrer les rangs tissés, et recommencer dans l’autre sens.
Elle me propose à mon tour d’essayer en me guidant avec beaucoup de bienveillance (heureusement, les rangs d’un tissage peuvent se défaire si besoin !). Bien que cela ne soit pas évident de bien penser à chacune des étapes de ce travail du textile et à adopter les bons automatismes, l’expérience est aussi agréable qu’intéressante.
Agréable de fabriquer quelque chose de ses mains et de voir naître rang après rang le fruit de ce travail, et intéressant de découvrir des outils et techniques qui n’ont pas changé depuis des siècles.
Cette initiation passionnante au Yumihama-gasuri s’achevait par un magnifique coucher de soleil sur l’atelier et par un repas partagé avec l’artiste et quelques unes de ses amies.
Une belle manière de clore cette plongée dans l’artisanat traditionnel de la préfecture de Tottori et de repousser le moment de quitter cet atelier fascinant.