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Lorsqu’on pense « tissus japonais » on pense souvent kimono en soie, motifs colorés, broderies de fils d’or… Mais il existe aussi beaucoup de tissus traditionnels moins formels et plus intemporels. Ils trouvent souvent leur origine dans les régions rurales et font partie d’un héritage culturel précieux, puisqu’ils sont liés à l’histoire de chaque lieu.

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Il y a quelque temps, j’ai eu la chance de séjourner dans la région de Chikugo, dans la préfecture de Fukuoka, et de découvrir un tissu traditionnel local : le Kurume Kasuri (久留米絣). Au fil des visites et des rencontres, j’ai eu un véritable coup de cœur pour cet artisanat. Je vous fais découvrir cette étoffe, son histoire et le défi de préserver ce savoir-faire vieux de 200 ans.

Qu’est-ce que le Kurume Kasuri ?

Ce que l’on appelle kasuri en japonais est une sorte de textile plus souvent désignée par le terme ikat dans d’autres langues comme le français ou l’anglais. Tout comme l’ikat, le kasuri est à la fois une méthode de fabrication et le tissu qui en résulte. Sa particularité consiste à teindre les fils avant le tissage, contrairement aux tissus sur lesquels on imprime les motifs après leur conception. Le kasuri se caractérise par des motifs aux bords floutés, ce qui lui donne une apparence un peu rustique.

Un tissu japonais appartenant au patrimoine culturel intangible

Le Kurume Kasuri est inscrit au patrimoine culturel intangible de l’UNESCO depuis 1957. Pour préserver ce savoir-faire unique, l’état soutient également l’activité des artisans qui s’engagent à suivre la méthode de fabrication traditionnelle. Laissez-moi vous présenter rapidement les étapes de confection que j’ai pu observer pendant ma visite.

Création du motif et préparation des fils

On peut faire du kasuri à partir de différentes fibres (soie, laine…), mais le kasuri de Kurume est en coton. La plupart des artisans que j’ai rencontrés créent leurs motifs à la main en les dessinant sur du papier. Ils indiquent les sections des fils qui doivent être teintes et celles qui doivent rester blanches.

Teinture à l’indigo naturel

Une fois l’échevette prête, on teint le fil en le plongeant dans des cuves d’indigo. Traditionnellement, le fabricant concocte lui-même sa teinture. Il fait fermenter des feuilles d’indigo dans de grandes cuves en terre enterrées dans le sol. Une fois imbibés de teinture puis essorés, les fils sont frappés au sol pour oxygéner la teinture et bien la fixer. On les étend ensuite au soleil pour les faire sécher.

On répète ce procédé plusieurs fois, en fonction de l’intensité de la couleur désirée. Une des difficultés est de ne surtout pas détendre le fil pendant le procédé, cela créerait un décalage sur le motif final.

Tissage à la main

On tisse en général douze mètres de tissu sur une largeur d’environ 36 cm. Cette longueur standard, qu’on appelle tan-mono, correspond à la quantité nécessaire pour confectionner un kimono.

On installe d’abord le fil de chaîne sur le métier à tisser (le fil correspondant à la longueur du tissu). Puis on prépare le fil de trame (celui de la largeur) sur les navettes que l’on glissera entre les fils de chaîne pour tisser l’étoffe. Le tissage requiert une grande précision puisque le moindre décalage déformerait le motif. C’est pour cette raison qu’il doit se faire sur des machines traditionnelles à pédale. Les métiers à tisser industriels, plus rapides et plus performants, produisent des motifs de moindre qualité.

L’histoire du Kurume Kasuri

Il est difficile de savoir exactement où et quand l’ikat fut inventé, mais il est certain qu’il s’est largement répandu en Asie au fil des siècles. Les plus vieux fragments d’ikat, conservés au Musée National de Tokyo, dateraient du VIIe ou du VIIIe siècle, et ils auraient été importés de Chine ou de Corée. Aujourd’hui, il existe une grande variété d’ikats, tous considérés comme des étoffes traditionnelles de leur région d’origine, que ce soit en Inde, au Cambodge, ou encore en Indonésie, d’où le terme ikat est originaire.

L’invention du kasuri de Kurume

Mais revenons à Chikugo et à son ikat local. Ici, on raconte que l’on doit son invention à une jeune fille du nom de Den Inoue (1788-1869). À son époque, sur le domaine féodal de Kurume-han (久留米藩), un décret imposait à la population de ne porter que des vêtements en coton simples et sans motifs. 

Den, comme toutes les filles de marchands et de paysans de l’époque, avait appris à tisser très jeune. Elle eut l’idée de détisser un morceau de tissu teint à l’indigo. Elle découvrit des taches blanches qui formaient un motif abstrait, et elle voulut comprendre comment recréer un tel effet. Elle comprit que l’emplacement des taches sur le fil permettrait de créer le motif final. C’est ainsi que le Kurume Kasuri fut inventé aux alentours de l’an 1800.

Diffusion et popularisation du Kurume kasuri

Ce savoir-faire se diffusa rapidement auprès des jeunes filles et des femmes de la région. Puis, au fil des années, et avec la disparition du décret, le tissu gagna en popularité. Il atteint son pic de production à la fin des années 1920. On comptait alors environ 1500 producteurs de kasuri, employant 50 000 personnes.

Outre l’aspect si particulier de ses motifs, il plaisait aussi pour sa qualité et sa durabilité. La teinture à l’indigo dure très longtemps et possède même des propriétés naturelles insectifuges. On en confectionnait des monpe (pantalons de travail), des couvertures, mais aussi des kimonos et des vêtements féminins.

On le retrouve aussi dans le fameux festival Hakata Gion Yamakasa. Certains quartiers de Fukuoka choisirent le Kurume Kasuri pour la confection des happi, les vestes que l’on porte pendant la procession. Cette tradition perdure, et aujourd’hui encore certains fabricants de kasuri confectionnent des happi.

Conserver un savoir-faire appartenant au patrimoine culturel du Japon

Durant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des productions textiles du Japon furent interrompues. La fabrication du Kurume Kasuri reprit après la guerre, mais les habitudes de consommation évoluant, les Japonais se tournent vers les vêtements occidentaux et les matières synthétiques. Aujourd’hui, on ne compte plus que 21 fabricants, répartis entre les villes de Kurume, Chikugo, Yame, et surtout Hirokawa qui en compte 12. Mais heureusement, ces dernières années, on observe un réel effort pour préserver ce patrimoine artisanal qui gagne en popularité.

Réapprécier la qualité d’une fabrication artisanale traditionnelle

L’un des aspects les plus subtils est de faire comprendre au grand public la valeur de cet artisanat. Avec les techniques d’impressions digitales, il est facile et pas cher de créer des tissus à motifs. C’est pour ça qu’il est important d’expliquer le procédé de fabrication du Kurume kasuri et permettre au public d’en apprécier la qualité unique.

L’association des tisseurs de Kurume Kasuri recense les 21 fabricants certifiés, petites entreprises familiales pour la plupart. Certains proposent des visites et des ateliers d’initiation sur rendez-vous. Vous pouvez consulter la liste des membres sur le site officiel (en anglais).

L’entreprise Una Labs propose également des visites et des ateliers en partenariat avec certains artisans. Cela peut aller d’une visite d’une heure et demie à une expérience immersive d’une journée, avec un ou une interprète. Vous pouvez réserver directement depuis leur site (en anglais).

Deux hommes sont en train de plonger des tissus dans des cuves d'indigo à l'atelier Ikeda Kasuri Kobo, Chikugo.
L’atelier Ikeda Kasuri Kobo propose des visites en anglais ainsi que des ateliers en partenariat avec Una Labs.

Permettre à la tradition de se moderniser

Au-delà de l’appellation enregistrée par l’UNESCO, il existe d’autres certifications qui soutiennent la production du Kurume Kasuri traditionnelle tout en la modernisant.

Le ministère de l’Économie, du Commerce extérieur et de l’Industrie du Japon reconnait le Kurume Kasuri comme un artisanat traditionnel. Ce certificat est une garantie pour le consommateur, mais il accorde aussi un soutien financier au producteur. Il se divise en deux catégories, l’une étant la production entièrement traditionnelle, décrite plus haut dans cet article, l’autre est une production semi-industrielle.

Métier à tisser traditionnel avec une navette en bois à l'ancienne.
Métier à tisser traditionnel avec une navette en bois à l’ancienne.

À travers cette deuxième catégorie, le Ministère encourage les artisans à moderniser leur pratique. Cela peut se traduire par l’utilisation de machines à tisser plus modernes, qui réduisent le temps de fabrication, sans pour autant altérer la qualité finale du tissage. On autorise aussi l’utilisation d’autres teintures que l’indigo, permettant de créer une plus grande variété de couleurs et de motifs.

Reinventer des vêtements contemporains et intemporels

Pour beaucoup d’habitants de la région, le Kurume Kasuri a une forte connotation champêtre et rappelle le monpe de sa grand-mère. Une boutique d’artisanat de Yame, Unagi-no-nedoko, s’est lancé le défi de remettre ce vêtement paysan au goût du jour. Il propose des habits unisexes déclinés dans un large choix de motifs et de couleurs provenant de différents fabricants. En s’inscrivant dans la grande tendance « entre tradition et modernité », le nouveau monpe séduit aussi bien les jeunes générations que les visiteurs. Ce type de partenariat est un exemple parmi d’autres, qui permet de diffuser le Kurume Kasuri au-delà de la région.

Pour moi, il n’y a pas de plus grand plaisir en voyage que d’avoir la chance de rencontrer les habitants et de découvrir leur artisanat local. Alors, si vous êtes un peu comme moi, vous aurez peut-être envie de passer par la région de Chikugo lors de votre prochaine visite. D’autant que le Kurume Kasuri est loin d’être la seule richesse à découvrir, et certains lieux, comme Yame, valent vraiment le détour. Mais ça, c’est une autre histoire…

Clémentine Sandner

Clémentine Sandner

Designeuse d’origine française, installée au Japon depuis 2014. Venue dans l'idée de passer un an à Tokyo... je ne suis jamais repartie depuis ! Je me suis vite passionnée pour les textiles traditionnels japonais, et la beauté des paysages m'émerveille encore chaque jour. Après avoir vécu à Tokyo, Osaka et Miyazaki, je vis maintenant à Arashiyama, à Kyoto. Quand je ne suis pas derrière ma machine à coudre, j’aime prendre la route et parcourir la région à la découverte de l’artisanat local et autres trésors cachés.

www.mikanbags.com

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