Kagurazaka est un quartier où il fait vraiment bon flâner. Bien que, à l’opposé de ses quartiers voisins, il n’ait pas de sites touristiques majeurs, ce petit coin de France à l’ambiance particulière, situé dans l’arrondissement central de Shinjuku, mérite à plus d’un titre l’attention du visiteur. D’abord parce qu’il est l’un des quartiers tokyoïtes les plus agréables. Ensuite parce que son histoire, son caractère fort, sa réputation de « Petit Paris », ses points d’intérêt et sa facilité d’accès devraient lui permettre de s’inscrire facilement dans les incontournables d’une visite de Tokyo.
L’histoire de Kagurazaka
A la fois très animé et paisible, Kagurazaka est un quartier du centre-ville de Tokyo qui a su évoluer au cours des siècles et s’adapter à son temps tout en gardant son cachet authentique et en affirmant son aspect culturel prépondérant.
La naissance du quartier de Kagurazaka
Le château d’Edo, dont les vestiges font aujourd’hui partie du Palais impérial, n’est distant que de deux kilomètres de Kagurazaka et c’est cette proximité qui a façonné le visage actuel du quartier. Dans les années 1650 apparaît en effet la route principale qui le traverse. Aujourd’hui appelée Kagurazaka-Dori, elle se situait en face du pont Ushigome qui enjambait une douve du château et était ainsi une plaque tournante du transport.
Le pont actuel date de 1996 et si, comme moi, vous aimez les vieilles pierres et les ruines de bâtiments autrefois importants, ne manquez pas d’aller admirer à l’une de ses extrémités un imposant mur de pierre, vestige d’une des portes extérieures du château d’Edo utilisées pour empêcher toute intrusion ennemie. C’est donc cette situation géographique exclusive qui a permis au quartier de se développer.
La transformation en quartier de geishas
Attirées par l’effervescence de Kagurazaka, les élites de l’époque ont commencé à y affluer à partir du XVIIème siècle. A tel point qu’à la fin de la période Edo (1606 – 1868), grâce notamment à son essor commercial et au Bishamonten Zenkoku-ji Temple, Kagurazaka attire nombre de geishas, soucieuses d’exercer leur art dans les meilleures conditions, et devient un des hanamachi (quartier de maisons de geisha) de la capitale.
Devenu avec les quartiers d’Akasaka, Asakusa, Shimbashi, Yoshicho et Mukajima l’un des six quartiers de divertissements de Tokyo, regroupés sous le nom de Tokyo Rokkagai, il connaît sous l’ère Meiji (1868 – 1912) une période de grande splendeur en tant que quartier rouge, avec des centaines de geishas qui y travaillent, et en tant que quartier commerçant, avec un grand nombre de restaurants et de salons de thé.
Kagurazaka au cours du XXème siècle
Deux événements majeurs vont façonner le visage du quartier au XXème siècle. Connu pour être le seul quartier de geishas à avoir été relativement épargné par le grand tremblement de terre du Kanto en 1923, Kagurazaka a été rasé par les bombardements américains de la Seconde Guerre mondiale. Mais il s’est vite relevé pour continuer à attirer toujours plus de résidents après la guerre. Les personnes huppées le choisissent autant que des artistes et des écrivains japonais.
Cette réputation de quartier culturel acquise au cours du XXème siècle, associée à la reconstruction d’après-guerre, va jouer un rôle important dans l’essor de Kagurazaka. A l’opposé des geishas dont le nombre ne cesse de diminuer (elles ne sont plus qu’une vingtaine aujourd’hui), les expatriés, en particulier les Français, ont commencé à s’y installer de façon plus conséquente.
Les liens entre Kagurazaka et la communauté française de Tokyo
C’est l’installation de deux institutions françaises très importantes au cours de la deuxième moitié du XXème siècle qui va favoriser la mutation du quartier en petit coin de France et lui donner sa réputation de quartier français de Tokyo. Deux institutions très importantes pour moi aussi, car c’est là où j’ai commencé à travailler au Japon…
L’Institut français du Japon à Tokyo
C’est avec l’ouverture de l’Institut franco-japonais que Kagurazaka va commencer par prendre une touche bien singulière. Il a été inauguré le 16 janvier 1952 en présence du prince Takamatsu, du premier ministre japonais et de l’ambassadeur de France de l’époque, MM Yoshida et Dejean. L’établissement officiel, sous tutelle du ministère des Affaires étrangères, a été conçu comme un lieu convivial ouvert à tous, avec pour missions principales la promotion de la culture française et des collaborations artistiques au Japon, ainsi que le dialogue des cultures.
L’Institut est un endroit unique où l’on se sent vraiment « chez nous » lors de chaque visite. Je me souviens l’avoir souvent visité lors de mes premiers mois au Japon pour son côté réconfortant (tout le monde ou presque y parle français) et son tableau de petites annonces. En effet, l’entraide dans la communauté francophone fait également partie de sa mission…
Le Lycée français international de Tokyo
En mai 1967, une école privée japonaise, la section française du Gyosei, est inaugurée dans un bâtiment du quartier d’Iidabashi, où se trouve Kagurazaka. La création de cette section, qui deviendra en 1975 le Lycée franco-japonais, a ainsi continué à façonner le visage du quartier, devenant petit à petit un quartier clé pour les expatriés français, soucieux de faire suivre à leurs enfants une scolarité calquée sur le modèle français, et pour les Japonais francophiles. Lors de ma première année au Japon, j’ai eu la chance d’y travailler une courte période à la cantine du Lycée pour y remplacer une personne malade.
A proximité du lycée, il est impossible de ne pas citer la librairie Omeisha que j’ai eu plaisir à visiter quelques fois. Fondée en 1947, elle a éminemment aidé à la promotion de la culture et de la langue française.
Les institutions françaises de Kagurazaka à l’heure actuelle
Le visage du quartier a évidemment évolué depuis. Pour permettre son expansion et face aux inscriptions toujours plus nombreuses, le Lycée français international de Tokyo (LFIT) a déménagé en 2012 dans le nord de la capitale, à Itabashi. Et bien que sa devanture soit toujours présente, la librairie historique Omeisha a fermé ses portes le 28 février 2022.
Seul l’Institut français est toujours bien en place. Avec sa salle de cinéma, sa scène musicale, sa galerie d’art, sa médiathèque, son restaurant et sa librairie, l’Institut propose encore l’enseignement du français. Des événements en rapport avec la culture française, comme la Fête de la Musique ou le 14 Juillet, par exemple, sont également organisés tout au long de l’année. C’est lors d’une de ces manifestations liées à la gastronomie française que j’ai eu l’un de mes premiers emplois au Japon en tant que serveur de fromages…
Les bonnes adresses du quartier
Alors qu’on peut trouver dans les quartiers voisins des sites touristiques majeurs tels que le Tokyo Dôme, le sanctuaire Yasukuni Jinja ou encore le Palais impérial, Kagurazaka n’a pas d’attraction d’une telle ampleur. Néanmoins, son esprit français et ses quelques curiosités lui confèrent une attractivité certaine.
Un quartier aux allures de « Petit Paris »
A Kagurazaka, les devantures sont souvent aux couleurs de l’Hexagone et de nombreuses régions françaises y sont représentées. On pourra ainsi trouver « Le Bretagne », une crêperie réputée, et son épicerie attenante, ou « La Maison de la Bourgogne ». Alors qu’Alpage se présente comme l’une des meilleures fromageries de la ville, vous pourrez déguster de succulentes pâtisseries françaises au « Coin Vert ».
Les boulangeries, déjà très nombreuses et prisées dans toute la capitale, y fleurissent également. Kagurazaka dispose même du seul bouchon du monde à avoir reçu une étoile du Guide Michelin (2011). Le Chef, Christophe Paucod, souhaitait faire honneur à sa ville natale en créant le premier bouchon lyonnais du Japon tenu par un Lyonnais. « Lugdunum Bouchon Lyonnais », qui a vu le jour en septembre 2007, propose depuis lors une cuisine raffinée et généreuse particulièrement portée sur les spécialités lyonnaises.
Les curiosités touristiques de Kagurazaka
Construit en 1595 par le premier shogun Tokugawa Ieyasu, le temple Zenkoku-ji fut déplacé en 1792 vers son emplacement actuel après plusieurs incendies. Symbole touristique populaire de Kagurazaka, il est dédié à Bishamonten, un des sept dieux de la chance. Sa statue, désignée comme bien culturel de la ville de Shinjuku, est vénérée comme porteuse de chance et de prospérité commerciale.
A proximité de la station de métro Kagurazaka se trouve le sanctuaire Akagi Jinja, connu pour porter chance aux artistes qui viennent y prier. Construit pendant la période Edo, il a été rénové en 2005 pour présenter une version unique du modèle de sanctuaire traditionnel fait de verre et de bois poli. Enfin, une boutique très originale , située en face du temple Zenkoku-ji, mérite le détour. « The Story of Europe » (欧州航路) propose des produits venus d’Europe avec une part honorable laissée à la France.
Kakurenbo Yokochō, la ruelle du cache-cache
Le charme authentique de Kagurazaka réside dans le dédale de ruelles sinueuses, dans lesquelles on se perd facilement, et d’escaliers étroits des deux côtés de la rue Kaguzaka-dori. C’est ici, loin de l’effervescence du quartier, que l’on trouve Kakurenbo Yokocho. Cette petite ruelle tranquille, bordée de restaurants japonais traditionnels et d’izakaya, devrait pourtant attirer les plus curieux.
En effet, lorsque des réparations ont eu lieu en 2016, des pierres spéciales, auxquelles on attribue des propriétés magiques, ont été ajoutées aux pavés, une en forme de cœur et deux avec un pentagramme et un diamant gravés dessus. Il est dit que la personne qui les trouve voit augmenter ses chances de trouver respectivement l’amour, le succès professionnel et la chance financière… Le Canal Café enfin, en bordure de douve, offre un cadre romantique parfait pour une fin de journée magique à Kagurazaka. Et pour s’y rendre, deux options s’offrent aux visiteurs : les gares de Kagurazaka (métro Tozai) et d’Iidabashi (métro et JR).
Les relations étroites que Kagurazaka entretient depuis longtemps avec la France lui donnent un cachet unique qui, pour nous autres, Français ou francophones, ne saurait déplaire. Grâce à son aménagement en rue piétonne (de 12 heures à 13 heures du lundi au samedi, et de 12 heures à 19 heures le dimanche), la rue Kagurazaka-dori incite à la flânerie. Même si, à l’exception de Picard et Paul, les enseignes françaises y sont rares, les rues alentour nous donnent une vision authentique d’un Japon ancien. Avec ce petit bout de France en plein cœur de la capitale japonaise, c’est ce mélange de tradition et d’authenticité que l’on vient chercher à Kagurazaka, et abondamment trouver.