Aux confins de l’Archipel, Hokkaido (北海道), dont les kanjis signifient « chemin de la mer du Nord » en est l’île la plus septentrionale du Japon. Cette Sibérie nippone se situe en mer d’Okhotsk, aux portes de la Russie. Sa localisation sur l’anneau de feu du Pacifique annonce déjà son caractère éruptif.
Les parcs nationaux d’Hokkaido, qui comptent certains des plus beaux parcs nationaux du Japon, sont considérés comme la réserve naturelle du pays. Leurs immenses étendues sont marquées par le caractère sauvage des territoires indomptables. Outre les forêts, qui couvrent près de 70% du territoire, les montagnes, les volcans en activité et leurs lacs de caldeira sont autant d’écrins pour la vie sauvage.
Dans un silence seulement troublé par le souffle du vent dans les feuilles, le grondement des volcans et l’eau jaillissant des cascades, ce royaume de feu et de glace m’a fait l’effet d’une terre bénie des dieux. Cap sur le Grand Nord japonais.
- Daisetsuzan, de monts volcaniques en lacs cristallins
- Parc national Akan, lacs de caldeira à l’ombre du Meakan
- Parc national Kushiro-Shitsugen, les plus grands marais du Japon
- Péninsule de Shiretoko, sanctuaire sauvage au bout du monde
Daisetsuzan, de monts volcaniques en lacs cristallins
Au cœur d’Hokkaidō, le parc national Daisetsuzan (大雪山, littéralement « grande montagne enneigée ») est le plus vaste de tous les parcs nationaux du Japon. Les chaînes de monts volcaniques sont couvertes de forêts primaires et d’une flore alpine, entrecoupés de lacs cristallins et de hauts plateaux de toundra. Dans la vallée, la route me mène de stations thermales en piscines naturelles secrètes en passant par des champs de fleurs.
Aux portes du parc, entre Biei (美瑛) et Furano (富良野), le voyage commence dans les exploitations florales qui tapissent les vallons de fleurs. Direction la ferme Tomita (富田ファーム), qui figure parmi les plus célèbres et les plus photogéniques de la région. Nous sommes au cœur de l’été, en pleine floraison. Malgré un ciel chargé qui ternit quelque peu les teintes, les lignes de fleurs aux coloris soigneusement assortis épousent les courbes des collines, et dessinent des arcs-en-ciel. Je foule avec délice les sillons creusés dans les champs de fleurs. La ferme Tomita est spécialisée dans la lavande, dont je me délecte du parfum délicat.
Mais le Daisetsuzan est avant tout un pays de montagnes, dominé par une chaîne de monts volcaniques aux petits airs alpins. Leur sommet, le mont Asahi dake (旭岳), est aussi le toit d’Hokkaido (2 290 m). Les montagnes sont séparées par des gorges où s’épanouit la forêt, et les vallées sont parsemées d’onsen et de chalets pleins de charme.
Respectueux des forces la nature, les Aïnous, le peuple indigène d’Hokkaidō, ne s’y sont pas trompés : ils ont surnommé les lieux « Kamui mintara », le terrain de jeu des dieux. Aujourd’hui encore, le parc Daisetsuzan est pour eux un haut lieu de spiritualité.
Point de passage obligé, la station thermale de Sōunkyō (層雲峡, « gorge des nuages ») est nichée dans une gorge façonnée par les éruptions volcaniques et par l’érosion. Plusieurs cascades dévalent les montagnes pour se jeter au fond du canyon. Là, à l’ombre menaçante des montagnes, je m’enfonce dans une forêt humide, jusqu’aux cascades de Ryusei (流星の滝) et Ginga (銀河の滝). Souvent enveloppées dans la brume, comme aujourd’hui, ces chutes d’eau jumelles tombent des falaises à pic.
Au départ de Sōunkyō, un téléphérique mène dans les hauteurs du mont Kurodake (黒岳). Tandis qu’il s’élève au-dessus des érables, les sommets des volcans jouent à cache-cache avec les nuages. Là-haut, les chemins de montagne serpentent entre les lacs et les blocs de soufre fumants. Un sentier mène au mont Asahi. Sans faire l’ascension jusqu’au sommet, plutôt sportive, les balades dans les forêts d’altitude promettent déjà des panoramas spectaculaires. À nos pieds, les montagnes et les forêts changent sans cesse d’aspect en fonction de la météo.
Lieu incontournable d’Hokkaido, l’étang Bleu de Biei (美瑛白金青い池, Biei Shirogane Aoiike) est pour moi un véritable coup de cœur. Cet étang artificiel doit sa renommée à ses eaux turquoise. Cette couleur est due à l’aluminium charrié par une chute d’eau voisine, et au sulfure qui blanchit le fond du lac. Dressés au milieu des eaux, des arbres morts achèvent de donner à l’étang Bleu un charme quelque peu surnaturel. Ces troncs de bouleaux et mélèzes sont les vestiges de la végétation qui poussait ici avant la construction du barrage qui donna naissance à l’étang.
Un peu plus loin, le lac Shikaribetsu (然別湖) est le seul lac naturel du Daisetsuzan. Il est serti de monts volcaniques recouverts de forêts primaires, vierges de toute occupation humaine. Je loue un canoë au départ du ponton de Shikaribetsu Kohan. La petite embarcation glisse sur le lac dans un silence que seules viennent rompre les rames que je plonge dans l’eau du lac. Je me plonge dans l’écoute méditative de ce royaume de silence, inchangé depuis des millénaires.
Parc national Akan, lacs de caldeira à l’ombre du Meakan
Dans l’Est d’Hokkaidō, le mont Meakan (雌阿寒岳, Meakan-dake) domine un paysage de forêts ouvertes sur des lacs de caldeira. Le parc Akan (阿寒湖, Akan-ko) déborde de chemins de randonnées, à faire à pied ou à vélo, en montagne ou au bord des lacs.
Au cœur du parc se trouve l’immense étendue d’eau du lac Akan. On y trouve le marimo まりも, une algue verte endémique de forme sphérique, à la texture mousseuse. Même en ouvrant l’œil sur la berge, je n’ai pas eu la chance d’en apercevoir in situ, mais on peut contempler cette algue dans des bocaux sur les étals des magasins.
Le lac Akan se situe sur les terres ancestrales des Aïnous, le peuple autochtone d’Hokkaidō. C’est l’occasion de découvrir une culture méconnue. Originaire de Sibérie, ce peuple aborigène de chasseurs-pêcheurs fut longtemps opprimé, victime de discriminations et de politiques d’acculturation. Ils ont entamé un long chemin pour la reconnaissance.
Sur les rives du lac Akan, la station d’Akanko Onsen (阿寒湖温泉) est une bonne base d’exploration. Elle abrite un kotan (コタン), un village traditionnel aïnou, qui est aussi l’une des plus grandes colonies aïnoues.
Composé de quelques rues, le village rassemble des échoppes regorgeant d’objets et autres sculptures en bois de bonne facture. Les sculpteurs de bois mettent à l’honneur l’amour de la nature et de la faune sur fond de culture ancestrale. J’ai été touchée par la singularité culturelle de ce peuple du Nord, leurs croyances et leur savoir-faire transmis par la tradition orale.
Après un petit tour en pédalo-cygne sur le lac, j’embarque pour une croisière nocturne. À bord, chaque passager rédige un vœu sur un papier qu’il place dans une boule lumineuse. Les sphères sont ensuite jetées par-dessus bord. Le bateau évolue de longues minutes entre ces points de lumière flottant dans les eaux noires. Je me laisse bercer par ce moment plein de poésie. La croisière est suivie d’une cérémonie aïnoue sur le quai. Nous nous mettons ensuite en marche jusqu’au kotan, à la lumière des torches, tandis que les Aïnous entonnent des chants de leurs voix graves. Cette soirée m’aura fait vivre un rêve grandeur nature, et mis des étoiles plein les yeux.
Le lendemain, je me rends sur un sentier de découverte qui longe les rives du lac au départ de l’écomusée d’Akan Kohan (阿寒湖畔). Il mène aux bokke (ボッケ), un fascinant phénomène naturel : des volcans de boue qui se présentent sous la forme de mares de bulles. Sous la terre, ça gronde. En surface, les bokke bouillonnent à plus de 100 degrés dans une étonnante ébullition sonore. Régal pour la vue, ce voyage à Hokkaidō ne cesse décidément de me surprendre par ses bandes-son.
Le chemin se poursuit dans une forêt de chênes Mizunara (ミズナラ), d’arbres de Katsura (カツラ) et de pins de Sakhaline (エゾマツ, Ezo matsu), au fil de courbes et de volées d’escaliers en bois. Ces forêts sont peuplées d’ours bruns et de cerfs sika. Sur certains troncs, des filets empêchent les cervidés de retirer leurs écorces.
Le lac Mashū (摩周湖, Mashu-ko) est un autre lac de caldeira. La route dessert plusieurs plateformes d’observation. Le lac est réputé pour être l’un des lacs aux eaux les plus pures et les plus transparentes au monde.
Son voisin, le lac Kussharo (屈斜路湖, Kussharo-ko), doit quant à lui sa particularité à l’île Nakajima (中島), posée en son centre : un stratovolcan dont les gaz acidifient les eaux. La légende dit que Kusshii (クッシー), le monstre du Loch Ness local, habiterait cette île déserte. Je tente d’imaginer le paysage en hiver, le combat des éléments chauds et froids, quand la source chaude et des vents chargés de chaleur empêchent le lac de geler totalement.
Côté météo, les cieux capricieux créent des paysages en constante évolution. Les nuages et la brume enveloppent les volcans à intervalles réguliers, avant que la douceur des rayons du soleil du Nord ne vienne les caresser.
Il est temps de partir à l’assaut des volcans. Comme tous les randonneurs avertis, je m’équipe d’une clochette chez des artisans aïnous. Cet accessoire est fortement recommandé pour avertir les ours de la présence humaine, et ainsi les tenir à distance.
Je commence en douceur au pied du mont Meakan, au bord du lac Onnetō (オンネトー). Il est entouré de forêts de résineux, dans un décor digne du Grand Nord canadien.
Pour un spectacle volcanique plus actif, direction le mont Iō (硫黄山, Iō-san). Des vapeurs chaudes et odorantes s’échappent des fumerolles, au milieu de concrétions de soufre jaunâtres. Gare où on met les pieds ! Car ici et là, l’eau bouillonne dans de petits bassins naturels.
Mais l’apothéose du parc Akan — et de mon voyage, il faut bien le dire — est bien le mont Meakan, un stratovolcan encore en activité. Son ascension me laissera le souvenir inoubliable d’une traversée d’écosystèmes successifs. La randonnée commence dans une forêt de conifères, jusqu’au premier champ de soufre. Les nuages vont et viennent et remodèlent le décor à une vitesse vertigineuse. La végétation se tarit progressivement pour laisser place à des champs de roches volcaniques. Je laisse la forêt derrière moi.
Dans un paysage de désolation, à proximité des premières fumerolles, je dépose une pierre sur chaque cairn. Les derniers kilomètres de l’ascension se font sur un chemin de crête. Une fois au sommet, à 1499 m d’altitude, on se croirait sur le toit du monde, dominant lacs, montagnes et nuages. Le vent siffle dans les oreilles, tandis que le cratère fume et gronde. Bientôt cette scène assourdissante est enveloppée d’un brouillard qui ne dissipera rien de mon émerveillement.
Parc national Kushiro-Shitsugen, les plus grands marais du Japon
Le parc national de Kushiro Shitsugen (釧路湿原国立公園) est réputé pour ses marais de tourbe, les plus étendus du Japon. La rivière Kushiro (釧路川) dessert un réseau de marécages et d’étangs entourés de plateaux. Là encore, je suis frappée par le silence. Malheureusement, comme partout, cet écosystème est menacé d’assèchement par l’extension des terres agricoles, l’exploitation forestière et le développement urbain.
Tout en horizontalité, les marais et tourbières servent de refuge à de nombreuses espèces d’oiseaux. La grue japonaise à crête rouge (surnommée tanchō, 丹頂) est la star du parc, symbole de longévité et de prospérité. Les Aïnous la considèrent comme le kamui (divinité) des marais. Avec un peu de patience et une paire de jumelles, on peut l’apercevoir au loin, dissimulée dans les sous-bois, ou plus souvent, posée sur un îlot au milieu du marais, gracile entre les roseaux.
Les étangs sont aussi bordés d’aulnes, de joncs, de linaigrettes (herbes à coton) et d’autres plantes aquatiques. En été, ils sont délicatement piquetés de fleurs alpines.
Le train touristique Norokko-go ノロッコ号 (en service d’avril à septembre) traverse à faible allure ces espaces, laissant tout le loisir de découvrir les marais et la faune qui l’habite.
Péninsule de Shiretoko, sanctuaire sauvage au bout du monde
Aux confins orientaux d’Hokkaidō, la péninsule de Shiretoko (知床半島, Shiretoko-hantō, « là où finit la terre ») offre des territoires parmi les plus sauvages de l’archipel japonais. Au pied de montagnes volcaniques dominées par le mont Rausu (羅臼岳, Rausu-dake), les lacs et les forêts sont peuplés d’animaux sauvages, ours bruns en tête. Côté mer, le littoral est bardé de falaises entrecoupées de cascades qui plongent dans les eaux glaciales.
Les Cinq Lacs (知床五湖, Shiretoko Goko) sont l’un des passages incontournables du parc, là où les forêts s’ouvrent sur des lacs cristallins. On commence par épousseter ses chaussures à la brosse pour éviter d’introduire des graines d’ailleurs dans cet écosystème endémique.
Puis on se met en marche sur des pontons de bois aménagés dans un souci de protection du biotope. Le sentier passe par chacun des cinq lacs cristallins aux eaux immobiles. Ils se dévoilent derrière les feuillages tels des trésors cachés. Quant aux monts volcaniques, ils se reflètent dans les eaux des lacs comme dans des miroirs.
Au terme du sentier, le ponton offre un panorama sur les marais qui s’étendent à perte de vue ou presque, les volcans dessinant toujours la ligne d’horizon.
Shiretoko est aussi réputé pour ses innombrables sources chaudes. À Iwaobetsu Onsen, des rotenburo (bains d’eau thermale en extérieur) sont aménagés en enfilade au cœur de la forêt. Les feuillages filtrent les rayons du soleil. Un sentier remonte le cours de la rivière qui alimente en eau chaude les rotenburo, jusqu’à une cascade. Attention, certains bassins sont si brûlants qu’il est difficile d’y plonger un pied ! À deux pas de là, je pousse la porte du ryokan Chinohate (秘境知床の宿 地の涯), dont le onsen extérieur est une belle surprise. Je m’y baigne au soleil, entre les sapins et les libellules. Un petit coin de paradis !
Un peu plus loin sur la péninsule, à l’intérieur des terres, une source chaude jaillit de la montagne aux chutes de Kamuiwakka (カムイワッカ湯の滝). Signe de la sacralité du site, leur nom signifie « eau des dieux » en langue aïnoue. L’eau descend de la montagne par un chemin de pierre. Elle fait escale dans plusieurs bassins naturels, avant de se jeter dans la mer. Mieux vaut prévoir des chaussures résistantes à l’eau, car il faut mettre les pieds dans l’eau. La plante du pied est caressée par la douceur de la roche et la tiédeur de l’eau. La cascade et ses bassins naturels en amont sont les seules eaux d’Hokkaidō à ne jamais geler. Ce jour-là, la brume enveloppe la forêt, donnant à la scène une atmosphère irréelle, presque fantasmagorique. Brrr !
Toutes ces sources se jettent en cascades en mer d’Okhotsk (オホーツク海). Au fond d’une crique rocheuse, les chutes de Furepe (フレペの滝) jaillissent ainsi de falaises escarpées d’où elles dévalent jusqu’à la mer. Le soir, le soleil accorde ses derniers rayons à la pierre des falaises tournées vers l’Occident.
Et pour aborder la péninsule côté mer, plusieurs compagnies proposent de longer la côte en bateau, permettant d’observer des falaises battues par les vents parsemées de cascades retentissantes. C’est le moment de sortir ses jumelles pour observer la faune. Au pied des montagnes, sur les rives, j’aperçois des cerfs, et même une adorable famille d’ours bruns.
Comme peu d’endroits au monde, Shiretoko, et plus généralement Hokkaidō, finistères sauvages, m’auront donné le privilège de voir la faune s’épanouir et les éléments exercer leur puissance comme si l’Homme n’avait jamais existé.
Informations pratiques sur Hokkaido
Hokkaidō est accessible en avion depuis l’aéroport Haneda de Tōkyō (羽田空港), en 1h35 de vol. En avion toujours, compter 2h depuis Ōsaka (大阪) ou Fukuoka (福岡).
Il est aussi possible de rejoindre l’île en train, par la ligne Hokkaido-Shinkansen. Via un tunnel sous-marin, la ligne relie Aomori (青森), à l’extrémité Nord de Honshu, à Hakodate (函館), au Sud d’Hokkaido. Le train fait le trajet de Tokyo à Hokkaido en un peu plus de 4h. Le Shinkansen-Hokkaido est désormais couvert par le Japan Rail Pass.
- Site du parc national Daisetsuzan (大雪山国立公園)
http://www.daisetsuzan.or.jp/english - Site de Eastern Hokkaido
http://en.visit-eastern-hokkaido.jp - Site de Visit Shiretoko
https://www.visitshiretoko.com - Site de Visit Hokkaido
https://en.visit-hokkaido.jp