Malgré de nombreux voyages à travers le Japon et une envie constante de découvrir de nouvelles destinations hors des sentiers battus, je n’avais jamais entendu parler de Tsuwano (津和野) avant d’avoir l’occasion de visiter la préfecture de Shimane lors d’un voyage à travers la région d’Iwami qui m’a menée aux mines d’Iwami Ginzan à Tsuwano, en passant par la côte de la mer du Japon. Pourtant, cette petite ville a tout pour plaire : un quartier historique avec des maisons de samouraïs, un sanctuaire Inari auquel on accède en passant par un millier de portes torii, les ruines d’un château féodal d’où le panorama sur Tsuwano et les montagnes qui l’entourent est époustouflant, un artisanat local dynamique, et même — plus surprenant — des sites chrétiens majeurs.
Alors pourquoi Tsuwano reste si peu connue ? Cela tient du mystère. Il semblerait qu’elle commence pourtant doucement à se faire une réputation : on m’a confié que près de la moitié des visiteurs étrangers viennent de France, et que beaucoup prennent le temps d’y séjourner quelques jours pour profiter pleinement de son atmosphère paisible et des nombreuses attractions de la ville et des alentours. J’ai eu beau questionner mes interlocuteurs, aucun ne savait vraiment pourquoi tant de français s’intéressent à Tsuwano, alors je vais y aller de ma propre suggestion : c’est peut-être tout simplement le bouche à oreille… Tsuwano est exactement le genre de petit coin secret qu’on a envie de recommander à ses amis.
Un concentré de Japon, paisible et authentique
On appelle souvent Tsuwano la « petite Kyoto » d’Iwami ou de San’in. Il y a du vrai dans ce surnom, et l’on ne peut par exemple pas s’empêcher de penser au Fushimi Inari Taisha de Kyoto lorsqu’on découvre le sanctuaire Taikodani Inari de Tsuwano. Mais cette ville n’est pas un pâle avatar de l’ancienne capitale du Japon, bien au contraire : elle a sa propre culture, ses paysages urbains et naturels uniques, et une atmosphère paisible qui permet de se plonger dans un Japon authentique, loin des hordes de touristes que l’on rencontre habituellement dans des sites plus connus.
Le quartier historique de Tonomachi
La rue principale du quartier de Tonomachi (殿町通り, Tonomachi Dori), contrairement aux célèbres ruelles étroites de Kyoto, est large et droite, bordée par les murs blancs des anciennes demeures de samouraïs et par des canaux où nagent des carpes koï et où des iris fleurissent au mois de juin. Un décor de carte postale qui nous plonge dans une autre époque, et donne envie de flâner tranquillement.
Cette atmosphère préservée a d’ailleurs permis à Tsuwano d’être classée au patrimoine du Japon (Japan Heritage, 日本遺産 – Nihon Isan), notamment au travers du Tsuwano Hyakkeizu (Cent scènes de Tsuwano). Ce recueil d’illustrations, représentant la ville, les paysages et les traditions de Tsuwano vers 1865, nous permet de constater que les paysages de Tsowano ont été incroyablement bien préservés. Un musée en accès libre leur est dédié, et peut être une bonne manière de débuter la visite de Tsuwano.
Les traditions culinaires perdurent elles aussi, et nous avons pu en découvrir une au restaurant Sara-no-ki Shôintei dans la rue Tonomachi : l’Uzume Meshi (うずめ飯). À l’instar du barazushi d’Okayama, cet ochazuke cache de grandes richesses gustatives sous son apparence austère ; tous les ingrédients de ce plat se trouvent sous le riz blanc, une astuce pour feindre la frugalité ou manger de la viande à l’époque d’Edo (1603-1868), lors de laquelle les mœurs étaient extrêmement strictes sur ces points.
Profiter du hanami à Tsuwano
Comme nous voyagions à la mi-mars, il aurait dû être trop tôt pour profiter des cerisiers en fleur à Tsuwano, mais ils étaient en avance cette année et nous ont fait la belle surprise d’être en pleine floraison pour notre visite. On trouve certains des plus beaux arbres au bord de la rivière, à quelques pas de la rue Tonomachi.
Certains arbres forment un tunnel au-dessus du mur blanc du musée d’histoire locale Tsuwano Kyodokan (津和野町 郷土館), créant un décor parfait pour une séance photo, tandis que les berges de la rivière se prêtent à merveille à un pique-nique pour le hanami.
Le sanctuaire Taikodani Inari et ses mille torii
La Taikodani est l’un des cinq sanctuaires Inari les plus importants du Japon. Comme dans tous les sanctuaires dédiés à la divinité shinto Inari, on y vient principalement prier pour les récoltes et le commerce. Mais il a été bâti sur les hauteurs, à mi-chemin entre la ville et le château de Tsuwano, avant tout pour les pouvoirs de protection également prêtés à ce kami.
On retrouve au sanctuaire Taikodani Inari (太皷谷稲成神社) tous les éléments typiques d’un sanctuaire Inari, et notamment les statues de renards et les torii vermillon, qui sont ici environ un millier à jalonner le chemin qui monte à flanc de montagne jusqu’au bâtiment principal. Un parcours envoûtant qui donne l’impression de passer de l’autre côté du miroir — et rappelle fortement le Fushimi Inari Taisha de Kyoto, la foule en moins. Les cordes shimenawa massives qui ornent les bâtiments rappellent quand à elles celles d’un autre sanctuaire situé non-loin de là dans la préfecture de Shimane : le sanctaire Izumo Taisha, considéré comme l’un des plus importants du Japon.
Cérémonie shinto au sanctuaire Taikodani Inari Les torii forment un véritable tunnel vermillon
Après avoir offert du tofu frit à la divinité (on dit qu’elle en raffole), il est possible de continuer la visite en se dirigeant vers les ruines du château de Tsuwano grâce à un télésiège situé à quelques pas de là.
Panorama sur la ville de Tsuwano depuis les ruines du château
Le château de Tsuwano (津和野城跡) fut érigé au XIIIe siècle, mais — comme la grande majorité des châteaux féodaux japonais — détruit après la restauration de Meiji, dans les années 1870. Il ne faut donc pas espérer y voir un majestueux donjon à l’instar de celui de Matsue. Mais le château de Tsuwano a conservé de hauts murs de pierre et offre surtout un panorama exceptionnel sur la ville avec ses toits oranges typiques dominés par le mont Aono et les montagnes environnantes.
L’accès est facilité grâce à un télésiège. Il ne faut ensuite qu’une quinzaine de minutes de marche pour atteindre le site du château. Les plus motivés peuvent cependant faire le choix de monter à pied, et même de prolonger leur balade en empruntant les sentiers de randonnée qui mènent au sanctuaire de Hachimangu, où se tient tous les 1er dimanches d’avril le Yabusame (流鏑馬), un festival traditionnel de tir à l’arc à dos de cheval (comptez environ 1h10 de marche).
L’héritage chrétien de Tsuwano, une ville japonaise qui a abrité le martyr de chrétiens cachés de Nagasaki
Nous n’avons pas pu nous en rendre compte car des travaux étaient en cours lors de notre visite, mais en temps normal, l’importance de l’histoire chrétienne de Tsuwano saute aux yeux : une grande église se dresse dans la rue principale ; vision quelque peu inattendue au milieu des demeures de samouraïs. L’église catholique de Tsuwano (カトリック津和野教会) fut bâtie à la fin du XIXe siècle par des missionnaires, puis reconstruite en 1931 suite à un incendie. Une de ses particularités est de ne pas avoir de bancs, mais un espace recouvert de tatami où les fidèles s’assemblent pour la messe.
Mais pourquoi un tel bâtiment dans une petite ville au fin fond de la préfecture de Shimane, plutôt connue pour son héritage shintoïste ? L’histoire de Tsuwano est liée à celle des chrétiens cachés de Nagasaki. Alors que certains pensaient pouvoir sortir de l’ombre lors de la restauration de Meiji (1868), ils furent arrêtés et persécutés, envoyés dans différentes régions au Japon pour y être enfermés jusqu’à ce qu’ils renoncent à leur foi. 153 chrétiens furent ainsi détenus à Tsuwano, où ils subirent une véritable torture pendant 5 ans. 37 sont décédés et sont aujourd’hui considérés comme des martyrs — que le diocèse souhaite faire béatifier par le vatican en 2023. L’un d’eux aurait même été témoin d’apparitions mariales.
La chapelle Sainte Marie d’Otome Touge (乙女峠マリア聖堂) fut érigée en 1951 sur le site même de leur détention en mémoire des martyrs. Elle est située dans les montagnes derrière la gare de Tsuwano, et si le montée est assez raide, elle n’est pas longue et on se trouve récompensé par la vue de cette petite chapelle en bois, qui mêle harmonieusement influence occidentale et toit de tuiles locales. Lors de ma visite, j’ai même eu la chance d’y trouver de magnifiques cerisiers, une vision de calme et de beauté qui tranche avec l’histoire tragique dont le col d’Otome fut témoin. Même s’il n’est pas traduit en anglais, l’écriteau sur la porte indique qu’elle est ouverte et qu’on peut y entrer librement, mais il ne faut pas oublier de refermer la porte en repartant.
Tous les ans, le 3 mai, une procession est organisée entre l’église de Tsuwano et la chapelle d’Otome Touge, attirant des centaines de fidèles.
Une ville où les traditions locales sont préservées par les nouvelles générations
On trouve à Tsuwano de nombreuses boutiques et ateliers, ou les traditions artisanales et gastronomiques locales se transmettent de génération en génération. Et c’est avec joie que j’ai pu constater que ces traditions sont ici bien vivantes, et pour certaines entre les mains de jeunes générations bien décidées à les préserver et leur donner toute la place qu’elles méritent dans le monde de demain.
Komien Kamiryo Chaho, une boutique de thé tenue par un couple franco-japonais
En venant à Tsuwano, je ne m’attendais pas à avoir de longues et passionnantes discussions sur la situation de l’agriculture biologique au Japon et les plantes locales avec un français, et pourtant… Adrien Ricotta et son épouse Rumi se sont installés à Tsuwano en 2017, pour reprendre Komien Kamiryo Chaho (香味園上領茶舗) la boutique de thé familiale des grand-parents de Rumi, spécialisée dans le zaracha (ざら茶) — un « thé » local consommé ici quotidiennement depuis l’époque d’Edo.
Il faut ici entendre « thé » au sens japonais, vu qu’il ne s’agit pas de feuilles de thé mais de kawaraketsumei torréfié. Cette plante est presque aussi méconnue au Japon qu’en France, mais elle est réputée pour ses nombreux bienfaits : antioxydante, anti-inflammatoire, elle contient même une substance qui permet de se débarrasser des mauvaises graisses. Entre ces qualités et son délicieux goût proche de celui du hojicha (thé vert torréfié), autant vous dire que je suis rentrée chez moi avec un gros paquet de zaracha, et la ferme intention d’en faire ma nouvelle boisson quotidienne.
Adrien est par ailleurs guide et propose des visites de Tsuwano en français ou en anglais, qui incluent certains sites difficilement accessibles sans voiture, et une dégustation de thé. Vous pouvez le contacter directement par email pour plus d’informations.
Où dormir à Tsuwano ? Notre expérience au ryokan Tsuwano Wataya
Il y a plusieurs hébergements à Tsuwano, de l’hôtel classique aux machiya (maisons traditionnelles) privatives en passant par des minshuku (petites auberges familiales). Nous avons pour notre part passé la nuit au Ryokan Wataya (津和野温泉宿 わた屋). Ce n’est pas le ryokan le plus traditionnel de Tsuwano, mais c’est le seul à avoir des bains alimentés par un onsen (source chaude naturelle) en plein air où l’on peut se prélasser en admirant les étoiles.
Comme toujours dans les ryokan, l’accueil y est excellent, le cadre reposant, et les repas aussi délicieux que raffinés mettent en avant des produits locaux et de saison.
Thé matcha à notre arrivée Dîner de cuisine kaiseki Petit déjeuner traditionnel japonais
Balade en yukata dans les rues de Tsuwano
Ce n’était pas du tout la saison, mais en apercevant des yukata colorés bien rangés dans les tiroirs d’une commode ancienne dans le hall du ryokan, nous n’avons pas pu résister à la tentation de demander au personnel s’il était possible d’en emprunter. Ils sont à la libre disposition des clients, et cela n’a pas été facile de choisir entre tous les motifs proposés. Nous voilà donc partis explorer les rues de Tsuwano pour une séance photo improvisée. Plutôt que de nous diriger vers le centre historique, nous avons pris le chemin vers la gare, où nous avons trouvé un décor qui, à quelques détails près, semblait figé dans l’ère Showa (1926-1989).
Informations pratiques
Vous trouverez plus d’informations sur Tsuwano sur le site Internet de l’association touristique de Tsuwano (en anglais) et sur le site Internet de la région d’Iwami.
Comment se rendre à Tsuwano ?
- En train : Comptez 1h05 depuis la gare JR de Shin-Yamaguchi (新山口駅) en train « limited express » (le trajet est couvert par le Japan Rail Pass). Pour vous rendre à Shin-Yamaguchi, comptez environ 30 minutes depuis Hiroshima ou Hakata (Fukuoka), 1h10 depuis Osaka ou Kyoto, et 4h20 depuis Tokyo.
- En train à vapeur : de mars à novembre, les week-ends et jours fériés, il est également possible de faire le voyage entre Shin-Yamaguchi et Tsuwano à bord du SL Yamaguchi, un train à vapeur dont tous les wagons sont tous différents, pour un voyage à travers le temps.
- En bus : Un bus express entre Hiroshima et Hamada (浜田駅), dans la préfecture de Shimane, est accessible aux personnes en possession d’un passeport non-japonais au tarif imbattable de 500 yens. Plus d’information sur ce PDF. Depuis Hamada, comptez ensuite entre 1h05 et 1h30 pour rejoindre Tsuwano par les lignes JR (1340-3270 yens, trajet couvert par le Japan Rail Pass).
- En voiture : pour explorer librement la région d’Iwami et profiter pleinement de ses sites naturels et historiques, louer une voiture peut être une option intéressante.
Tsuwano a été une très belle découverte lors de notre séjour dans la région d’Iwami, mais après avoir passé une journée à l’explorer, nous sommes encore loin d’en avoir fait le tour. Il y a beaucoup à y découvrir, entre les bâtiments historiques, les sites naturels, les musées, les brasseries de saké, les ateliers artisanaux, mais aussi les festivals dont le Gion Matsuri où l’étonnante Sagi Maï (鷺舞, la danse du héron) est présentée chaque année les 20 et 27 juillet. C’est donc avec l’envie d’y revenir et d’en conseiller la visite à mes proches que j’ai quitté Tsuwano… prête à participer au bouche à oreille qui en fait un trésor caché si apprécié des français.
Article réalisé en partenariat avec Iwami Tourism Promotion Committee
Photographies : Roméo Arnault (sauf mention contraire)