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Il y a mille et une raisons de vouloir visiter le Japon. Mais dans l’imaginaire collectif, les cerisiers en fleurs se glissent aisément en haut de la liste. Tout nipponophile qui soit a déjà été, au moins une fois, charmé par la représentation de ces sakura 桜 en pleine floraison. Estampes, films, manga ou encore jeux vidéo : la culture japonaise, ancienne et moderne, aime véhiculer cette image d’un archipel poétique et onirique. On imagine son propre Japon printanier, excité à l’idée d’en faire l’expérience un jour. Alors quand je suis venu m’installer au Japon fin 2016, l’idée d’y vivre mon premier printemps et hanami 花見 m’a rendu fou de joie !

J’étais d’autant plus réjoui que je n’avais jamais eu l’opportunité de me rendre au Japon au printemps, malgré de très nombreux voyages. Il faut dire que la période est connue pour être assez onéreuse et qu’il faut jouer au chat et à la souris avec les dates de floraison. Comme bon nombre d’entre nous, je m’empressais d’acheter mes billets d’avion aux meilleurs prix… Ce qui ne correspondait jamais, à mon grand désespoir, à la période des sakura (fin mars-début avril pour Tokyo).

Cerisiers en fleurs à Yanaka

Alors, quand le printemps 2017 a pointé le bout de son nez, l’excitation était à son comble. Et en 2025, je célèbre mon neuvième hanami. De quoi faire un bilan personnel du printemps nippon tant rêvé !

L’avant printemps, une période d’excitation croissante

Habiter au Japon enlève la légère angoisse de manquer, à quelques jours près, la pleine floraison des cerisiers. Cette loterie annuelle, orchestrée de main de maître par Dame nature, peut, en effet, jouer quelques tours. Pour nous aider, l’agence météorologique japonaise publie chaque année des prévisions indiquant les dates de floraison, en anglais. Mais il faut aussi garder à l’esprit que ces données sont prévisionnelles et que la nature est parfois taquine. Après plusieurs printemps consécutifs, je peux malheureusement confirmer que certains retards sont possibles. À Tokyo, en 2024, la saison des sakura a ainsi débuté une quinzaine de jours plus tard qu’en 2023, surprenant de nombreux touristes.

Sakura à Nakameguro

Alors on se balade, dès le début du mois de mars, à la recherche des moindres petits indices. On scrute les bourgeons, on observe le ballet des oiseaux et on chasse les cerisiers à fleurs précoces qui annoncent l’arrivée du printemps. Et quand les premiers pétales roses ou blancs commencent à voir le jour, c’est le début de l’effervescence. On réveille sa liste de contacts pour organiser les fameux hanami, l’événement consistant à admirer les cerisiers en fleurs. On se crée un itinéraire des lieux immanquables pour ne pas gaspiller le moindre instant. Et on vide sa carte mémoire… Un conseil d’ami !

Les cerisiers en fleurs, une histoire de première fois

Après tant d’années à rêver de sakura, difficile de cacher son excitation à l’approche du printemps. Je me souviens de 2017 comme si c’était hier. Je scrutais les arbres à chaque balade. Et quand apparurent, sous mes yeux ébahis, les premiers bourgeons fleuris, un sentiment de joie et de satisfaction m’a parcouru l’esprit immédiatement. C’était le point de départ d’une quinzaine de jours, à vivre et à penser sakura. Le tableau a été un peu noirci par une météo capricieuse, mais rien ne pouvait me gâcher la joie de voir Tokyo sous un drap blanc et rose. Comme j’habitais près de la rivière Meguro, connue pour ses innombrables cerisiers, mon terrain de jeu favori était tout trouvé !

Lors d’un premier printemps nippon, l’envie de profiter de chaque seconde est plus forte que tout. Je me souviens d’un marathon épuisant. J’aimais marcher le long de la rivière Meguro de nuit, à la lumière des lanternes. Je dégustais de la street food quotidiennement à Nakameguro, grâce aux stands installés sous les sakura. Je traversais Tokyo pour profiter des endroits les plus populaires, comme Shinjuku Gyoen, le parc Yoyogi, celui d’Ueno ou encore le Cimetière de Yanaka. Et je bravais la foule, le sourire aux lèvres. Il faut pourtant jouer des coudes, mais le plaisir était immense. Devant moi, enfin, les pétales des cerisiers dansaient au gré du vent ! Bâche bleue au pied des arbres, karaage et bières fraîches en nombre, la fête battait son plein. Pendant trois ans, le marathon printanier a rythmé mes mois de mars et avril, pour mon plus grand plaisir.

La floraison des sakura… en temps de pandémie

Le printemps 2020 fut, sans surprise, un « drôle » de printemps. Finies la joie et l’allégresse des hanami sereins entre amis ou famille. La pandémie de Covid-19 se répandait dans le monde, le Japon fermait ses frontières et les restrictions pleuvaient. On pouvait s’estimer quand même heureux, dans l’archipel, au regard des règles restrictives rigoureuses mises en place dans le reste du monde. Mais le hanami 2020 avait bien un goût d’étrange et d’absence de vie. La rivière Meguro n’était pas éclairée par les lanternes habituelles. Les stands de rue avaient déserté les alentours de la gare de Nakameguro. Les parcs interdisaient les rassemblements et la distanciation sociale devait être respectée à la lettre. Et, pourtant, innocemment, les fleurs de cerisiers ornaient les arbres. La nature suivait, elle, son cours.

Je me vois encore, en 2020, masque sur le nez, marcher dans mon quartier à la recherche de cerisiers en fleurs pour me donner du baume au cœur. Les rues étaient vidées de leurs passants habituels. Les années ont passé et les restrictions ont été levées petit à petit. Les frontières restaient fermées, mais les Japonais reprenaient goût à l’effervescence de leur printemps.

Hanami au printemps

Quelques panneaux subsistaient, demandant aux gens de respecter le plus possible un minimum de distanciation sociale. C’est à ce moment là que je pris conscience que les hanami de mes premières années étaient derrière moi. Vivre la floraison des cerisiers en période de Covid-19 a été un électrochoc. Je garde, bien entendu, un souvenir mémorable de mes premiers marathons printaniers, comme j’aime les appeler. Mais c’est bien l’envie d’un hanami plus intimiste qui me réjouit aujourd’hui.

Une autre façon d’apprécier les cerisiers en fleurs

Mes premiers hanami resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Si c’était à refaire, je ne changerais rien. Toutefois, après plusieurs années et une pandémie de coronavirus, mes envies ont naturellement évolué. L’arrivée du printemps nippon est l’un des moments les plus beaux de l’année et cette renaissance de la nature me réjouit toujours au plus haut point. Mais, aujourd’hui, mon petit plaisir personnel est de chevaucher mon vélo, au gré du vent, tout simplement. J’aime partir à l’aventure, sans but, et errer dans les charmantes rues des quartiers paisibles de Tokyo, libre comme l’air. Il est tellement facile de tomber nez à nez avec une ruelle ou un petit parc bordés de cerisiers en fleurs. Le temps s’arrête alors et je prends plaisir à contempler chaque branche de sakura ornée de pétales resplendissants.

J’aime désormais me faire surprendre par des arbres majestueux, isolés, au coin d’une rue tranquille. Observer un cerisier, dans un milieu urbain où règne une certaine quiétude, est aujourd’hui la sensation qui m’enchante le plus. Il y a huit ans, mon agenda printanier ne laissait place à aucun vagabondage. Aujourd’hui, je vis l’impermanence de la floraison des cerisiers au rythme des rayons du soleil, de la douceur des températures et de là où mon envie me mène, en deux-roues. J’aime me replonger dans mes photos d’avant la pandémie et observer, avec nostalgie, comment les temps changent. Mais, une chose est sûre, même après neuf années, on guette toujours l’arrivée du printemps avec excitation. Finalement, une histoire d’amour comme au premier jour…

Printemps paisible à Tokyo

La floraison des cerisiers au Japon est un moment éphémère qui se vit chacun à sa manière. Que l’on soit un voyageur découvrant pour la première fois l’enchantement du hanami ou résident habitué à ce spectacle renouvelé, l’émotion demeure unique. Certains y voient une occasion de partager un moment convivial, entre amis, sous les pétales tombants ; d’autres un instant de contemplation silencieuse face à la beauté fugace du printemps. Qu’il s’agisse du premier ou du dixième hanami, chaque saison des cerisiers offre une expérience nouvelle, teintée de souvenirs, d’attentes et d’une douce nostalgie du temps qui passe.

Julien Loock

Julien Loock

Après des années d’allers-retours entre Paris et Tokyo, je décide, fin 2016, de poser ma valise pour de bon dans la capitale nippone. Grâce à la liberté du journalisme freelance, je prends plaisir à arpenter régulièrement l’Archipel en train, avec ma plume et mon carnet griffonné, pour assouvir ma soif de découverte et élargir mes connaissances sur ce pays si fascinant.