La préfecture de Gifu au Japon est traversée par l’ancienne route de Nakasendo, l’une des routes commerciales du Japon féodal. Des villages de montagne traditionnels témoignent d’une époque au cours de laquelle ils servaient d’étape aux voyageurs. Les « paysages urbains d’udatsu » sont des rémanences de l’ère Meiji et de l’époque d’Edo, et les machiya, maisons traditionnelles de marchands, racontent le Japon d’antan. Au cœur de cette région charmante et raisonnablement fréquentée, on forge des katana, les sabres de samouraï que l’on fixe à la ceinture du kimono, tandis que la shojin-ryōri, cuisine végétarienne des bonzes, mijote au fond des machiya. Voyage dans le temps et plongée dans le Japon traditionnel.
Gifu et son château
Le jardin japonais du parc de Gifu (Gifu koen) s’étire en longueur au pied du mont Kinka (329 m). Le château de Gifu (岐阜城, Gifu-jō) s’élève au sommet du mont Kinka, auquel on accède en téléphérique. La forteresse médiévale du XIIIe siècle fut reconstruite en 1956. Vestige du Japon féodal, le château de Gifu a tout du château japonais traditionnel. Depuis les balcons, on peut admirer Gifu, installée autour de le fleuve Nagara (長良川), et apercevoir, au loin, les Alpes japonaises.
Au pied du mont Kinka, on retrouve de nombreuses maisons en bois dans le quartier historique de Kawaramachi.
Depuis près de 1300 ans, Gifu est aussi le berceau de l’ukai, la pêche au cormoran, qui se pratique dans le fleuve Nagara. Cette méthode de pêche remonte à l’époque de Nara. Elle consiste à attacher des cormorans à une corde reliée à la barque. Les oiseaux survolent les rivières à la recherche de truites, mais une ligature autour de leur cou les empêche d’avaler leurs proies qui sont ensuite récupérées par les pêcheurs. De nos jours, la pratique de l’ukai tend à disparaître, mais Gifu perpétue cette tradition en la transformant en attraction touristique.
Un paysage urbain dominé par des machiya aux avant-toits décorés
À l’époque d’Edo (1603-1868), la route du Nakasendo traversait les Alpes japonaises pour relier Edo, la capitale du shogunat qui devint plus tard Tokyo, à Kyoto, la capitale impériale. Le long de cette route, de pittoresques villages d’étape fourmillent de machiya, littéralement « maisons de bourg », des maisons traditionnelles en bois. Ces villages se caractérisent par un « paysage urbain d’udatsu » : les faîtages des machiya, sur des toits de tuiles, sont coiffés d’udatsu, des avant-toits décorés. Cette spécificité architecturale locale date de la période Edo. Mais les udatsu n’étaient pas seulement esthétiques, ils empêchaient la propagation des flammes et servaient ainsi de système de prévention des incendies et de pare-feu. Souvent décoré, l’udatsu était aussi un signe extérieur de richesse. C’est le bourg de Mino qui en recèle l’une des plus fortes concentrations.
Les machiya servaient de boutique, d’atelier et de lieu d’habitation pour les marchands et artisans. Elles ont souvent des façades en treillis de bois.
Si l’architecture des machiya a pris sa forme durant l’époque Edo (1603-1868), les plus anciennes machiya que l’on peut encore voir ici remontent à l’ère Meiji (1868-1912). Il faut dire que leur construction en bois les rend particulièrement vulnérables aux incendies, et bien peu ont survécu. Mais elles furent longtemps détruites au lieu d’être rénovées. Leur valeur patrimoniale est désormais reconnue, et des initiatives privées ont permis leur reconversion en boutiques, en cafés ou en auberges.
Derrière des façades étroites, les machiya s’étendent tout en longueur en raison de l’ancien système de taxe d’habitation. Il prenait en effet en compte non pas la superficie de la maison, mais la largeur de sa façade, ce qui a donné cette architecture particulière qui rappelle un peu les « maisons-tubes » du Vietnam.
La partie dévolue au commerce se trouve côté rue ; juste derrière, on trouve la partie réservée à l’habitation. Vers l’arrière du bâtiment, dans un couloir, installait la cuisine et les entrepôts, qui donnaient sur un jardinet intérieur.
En raison de leur architecture allongée, ces bâtiments tout en longueur sont parfois appelés unagi no nedoko, « chambre à coucher de l’anguille ».
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L’ancienne résidence de la famille Imai de Mino
Mino au Japon (美濃) est réputé depuis 1300 ans pour sa production de papier washi, un papier artisanal fait en fibres de mûrier, et pour ses rues bordées de maisons du début de l’époque d’Edo.
Caractéristique du « paysage urbain d’udatsu », l’ancienne résidence de la famille Imai est une maison de marchands au charme suranné. Elle appartenait à un grossiste en papier washi. La toiture est bien sûr coiffée d’un udatsu.
À l’intérieur, les pièces recouvertes de tatami se succèdent en enfilade jusqu’au jardin, au fond duquel se trouve un petit sanctuaire. Le suikinkutsu (« caverne du koto d’eau »), un ornement décoratif et musical, est une agréable curiosité qui se trouve dans ce jardin. Quand on verse de l’eau sur la fontaine à l’aide d’une louche (hishaku), elle passe à travers une jarre percée, et tombe dans un petit bassin enterré. Elle produit alors une musique aquatique comparable au son du koto, l’instrument à cordes japonais comparable à la harpe.
Magome, le charme d’antan du Japon traditionnel
Magome (馬籠) est la 43e des 69 stations de la Nakasendo. C’est l’une des villes-étape (juku) où les marchands faisaient halte. Sur le versant de la colline, un sentier pavé de pierres est bordé de maisons joliment fleuries et datant de l’époque Edo. Cet adorable bourg de campagne fut immortalisé dans les estampes du peintre japonais Hiroshige. Aujourd’hui restaurée, Magome a retrouvé son lustre d’autrefois.
Le musée-mémorial Toson se trouve dans la maison natale du romancier et poète naturaliste Toson (1872-1943). Nous sommes dans un honjin (本陣), une auberge destinée aux fonctionnaires de haut rang. Après la visite du cabinet de travail de l’écrivain, vous aurez accès à une bibliothèque qui regroupe son œuvre complète.
Dans les hauteurs de Magome, le panorama sur les montagnes rappelle l’origine du nom Nakasendo (中山道, « route qui traverse les montagnes »), et combien le parcours était rude. À l’inverse, le Tokaido, « route de la mer de l’Est », reliait Tokyo à Kyoto en longeant le littoral pacifique.
Okute
Okute (大湫) est la 47e station du Nakasendo. Un vénérable cèdre du Japon vieux de 1300 ans, gardien du sanctuaire shintoïste Okute Shinmei, y fut déraciné l’été dernier par les pluies diluviennes du tsuyu, la saison des pluies.
Mitake
Le bourg de Mitake (御嵩) se situe lui aussi sur l’ancienne route du Nakasendo. La maison du marchand Takeya (商家竹屋), construite dans les années 1870, conserve le style architectural de la période Edo.
Sabres de samouraï katana et coutellerie à Seki
Depuis près de 8 siècles, la préfecture de Gifu est la troisième plus grande région de coutellerie du monde, après Solingen en Allemagne et Sheffield en Angleterre. La tradition de forge de sabres katana et la culture hamono (de la coutellerie) dans la région remontent à la période Muromachi (XIVe – XVIe siècles). Les sols riches en charbon et la présence de rivières (dont la rivière Nagawa) aux eaux pures et argileuses furent propices à l’implantation de la coutellerie à Seki.
Capitale de la coutellerie du Japon, Seki est surnommée « cité des lames ». La fabrication des couteaux y suit un processus de fabrication similaire à celui des katana.
Le musée de la Coutellerie Seki Hamono abrite une forge japonaise traditionnelle et un petit musée. Le maître artisan forgeron Kazuhiro Yoshida y explique le processus de fabrication des katana et des couteaux de cuisine. Les procédés de fabrication allient aujourd’hui tradition et technologie. La maison produit aussi des rasoirs, des ciseaux, du matériel de bricolage (burins), et de jardinage (sécateurs, faux et faucilles), présentés dans le magasin attenant à la forge. La maison exporte dans le monde entier.
Après la visite, des séances d’essayage de kimonos et des ateliers de confection de mini-ciseaux au musée de la Coutellerie Seki Hamono sont proposés sur réservation.
Cours de shojin-ryori, la cuisine japonaise végétarienne, dans une machiya
Poussons la porte d’une machiya de Mino. Furuta Kyoko nous ouvre les portes de son magasin Yamamotoya (山本屋) et de sa maison, datant de l’ère Meiji.
Les meubles ont l’âge de la maison : près d’un siècle. Tout est pensé pour l’harmonie et le bien-être, selon les principes de décoration zen du fusui, inspirés du feng-shui chinois. La position et l’orientation du mobilier doivent ainsi garantir la circulation d’ondes positives. Côté décoration, les pièces mettent en valeur quelques objets ayant appartenus aux ancêtres, comme un coffre laqué (nagamochi), qui servait au transport de la dot au moment du mariage. Dans ce temple du savoir-vivre, écrin de la culture japonaise dans toute sa splendeur, on s’adonne au sado (茶道), la cérémonie du thé, et à l’ikebana (生け花), l’art de l’arrangement floral. Les figurines (poupées ou samouraïs) et les compositions d’ikebana se déclinent au fil des saisons.
C’est parti pour un cours de cuisine japonaise shōjin-ryōri (精進料理), la cuisine végétarienne, voire végétalienne, traditionnellement servie par les bonzes dans les temples bouddhistes. Selon les enseignements de Bouddha Siddharta Gautama (Sakyamuni), cette cuisine japonaise traditionnelle n’utilise aucun produit d’origine animale. Elle est aussi servie dans les sanctuaires shintoïstes.
Cette cuisine multiplie les atouts santé avec des ingrédients ultra-sains. Elle laisse la part belle aux légumes (légumes-racines comme le radis blanc daikon et les carottes, champignons shiitake). Elle utilise le konjac (konyaku), un tubercule d’Asie du Sud-Est. Le konjac est très pauvre en calories et riche en fibres, reconnu pour son effet coupe-faim, ses vertus contre les troubles intestinaux et ses effets anti-cancéreux. C’est donc un aliment santé très prisé au Japon, détox et vegan. Quant au tofu, qui apporte aux plats des protéines végétales, il est riche en minéraux, nutriments et oligo-éléments. C’est un incontournable de la shojin-ryori. Le tout est mariné dans du mirin, un dashi d’algues et de la sauce soja, saupoudré d’algues et d’herbes aromatiques.
La shojin-ryori est un peu plus qu’une simple nourriture. Dans le bouddhisme, le mot shojin signifie le fait de se dépenser sans rien attendre en retour, tandis que dans le shintoïste, il désigne le retrait du monde profane. Cette cuisine particulièrement saine est donc destinée à nourrir tant le corps que l’esprit.
Le dressage se fait avec délicatesse. Les aliments sont déposés de manière à faire ressortir volumes et couleurs. Le plateau à pieds comporte 4 o-wan (bols) avec couvercles. La répartition des plats dans les o-wan et leur position sur le plateau ne doit rien au hasard. Chaque récipient ou couvercle est destiné à une sorte de mets, puis le bol de riz est placé devant le convive, sur sa gauche.
Comme douceurs, on a droit à de l’amazake, une boisson sucrée et très légèrement alcoolisée, à base de riz fermenté, réputé pour ses effets sur le métabolisme et ses vertus cosmétiques. Le sakurayu est une infusion légèrement salée de pétales de fleurs de sakura, les cerisiers du Japon. Il est réservé aux occasions de fêtes. Enfin, le saké vieilli se déguste comme un whisky ou un brandy. Avec l’âge, il gagne en teintes ambrées, en sucres naturels, en acides aminés, et donc en goût. Il clôture un repas tout en raffinement, tant dans les saveurs que dans la gestuelle.
Informations pratiques
L’Hôtel Route Inn à Minokamo
Les chambres de l’hôtel Route Inn de Minokamo sont sobres et fonctionnelles. L’hôtel comporte des bains publics et un sauna. Une laverie est en libre-service. Un petit déjeuner composé d’un buffet typiquement japonais est compris dans le prix des chambres.
Cours de cuisine japonaise végétarienne dans une machiya à Mino
Pour suivre un cours de cuisine japonaise végétarienne, rendez-vous au magasin Yamamotoya à Mino.
Durée : 1h de cours de cuisine, et 1h30 de repas. Une belle occasion de découvrir les arts de la table et du dressage, et l’étiquette japonaise.
Hida Beef Grill Bakuro à Gifu
Une allée de bambou mène au restaurant Hida Beef Grill Bakuro. Derrière une façade en treillis de bois, le steakhouse met à l’honneur le bœuf de Hida. Appartenant à la prestigieuse famille du bœuf wagyu, il est reconnu comme l’une des meilleures variétés de bœuf de Kobe. Il est élevé dans la préfecture de Gifu pendant 14 mois. On apprécie sa texture, sa marbrure, sa couleur, et bien sûr le fondant de son persillage.
En entrée, des crudités sont servies avec un assortiment d’assaisonnements. Le bœuf est ensuite accompagnée de sel, de poivre et de plusieurs sauces : wasabi, sésame, soja et gingembre, sauce ponzu à base d’agrumes…
Pour plus d’informations sur Gifu rendez-vous sur le site Internet (en français !) de l’office du tourisme de Gifu : Visit Gifu.
Les stations d’étape (juku) de l’ancienne route du Nakasendo témoignent du Japon traditionnel de l’époque Edo. Elles abondent en machiya, des maisons de marchands des ères Edo et Meiji, l’une des plus charmantes images du Japon ancestral. Séjourner chez l’habitant dans une machiya vous livrera tous les secrets de cuisine, les traditions et l’étiquette du Japon. On prépare ici la shojin-ryori, la cuisine végétarienne des bonzes, qui nourrit autant le corps que l’esprit.
Article écrit en partenariat avec CHUBU DISTRICT TRANSPORT BUREAU et Central Japan International Airport Promotion Council