Dans la région de Hida, située dans l’ouest des Alpes japonaises, au nord de la préfecture de Gifu, on peut ressentir l’atmosphère du Japon traditionnel. Cette région est aujourd’hui célèbre pour abriter le Takayama Jinya, ancien siège du gouvernement de la province de Hida sous dépendance directe du shogunat d’Edo, et seul bâtiment historique de ce type préservé jusqu’à notre époque. Elle apporta aussi sa contribution aux traditions du Japon : il y a environ 1300 ans, ses ébénistes participèrent notamment à la magnificence de Nara et Kyoto. Ces techniques sont encore utilisées aujourd’hui dans la production d’objets d’art et d’artisanat, ébénisterie en tête.
Rayonnement de la menuiserie de Hida et autres artisanats d’art
Au cœur d’une région montagneuse, au milieu des forêts, Hida cultive ses traditions et son art de vivre.Les charpentiers et les ébénistes, appelés « Hida Takumi », les « maîtres bâtisseurs de Hida », exercent dans la région depuis plus de 1300 ans. Ils bénéficièrent des ressources naturelles de la préfecture de Gifu, composée à 80 % de montagnes recouvertes de forêts. Les artisans menuisiers de Hida y trouvaient tout les bois dont ils avaient besoin : cyprès, cèdre du Japon, pin rouge, châtaignier, hêtre…
Dans ces régions reculées, le travail du bois fut longtemps l’un des principaux moyens de subsistance. Mais le savoir-faire des charpentiers de Hida fut bientôt célèbre à travers tout le Japon. Pendant la période d Nara (710-794), alors que la région était dépourvue de rizières et ne pouvait payer la redevance en riz, c’est en bois et en main d’œuvre que Hida payait ses taxes aux capitales impériales. Elle envoya ses menuisiers travailler à la décoration des temples, sanctuaires et palais de Nara et de Kyoto, les capitales impériales. Ces artisans d’excellence sont réputés pour avoir révolutionné les techniques de menuiserie, ce qui leur valut une renommée nationale.
Le musée d’Artisanat Takumikan (飛騨の匠文化館, Hida No Takumi Bunkakan) de Hida Furukawa vous fera découvrir le savoir-faire des menuisiers et des ébénistes de la région. Différentes techniques d’emboîtement du bois y sont présentées. Un assemblage complexe qui présentait deux avantages : rendre les structures résistantes aux séismes, et empêcher la propagation des incendies. Le musée dévoile également les secrets de fabrication des chidori, les treillis de bois (千鳥格子, chidori-gôshi). L’ingéniosité de cette technique lui valut d’être exportée à Kyoto, dont elle participe au charme intemporel.
Les maisons traditionnelles de Hida Furukawa présentent des façades en chidori, qui permettent de séparer l’espace intérieur et la rue, dissimulant l’intérieur tout en permettant aux résidents d’apercevoir l’extérieur. Certaines maisons offrent de jolis contrastes entre le bois sombre et l’enduit blanc des murs. Certains avant-toits sont quand à eux sont ornés de kumo (nuages), des blasons gravés à l’effigie des familles de maîtres-artisans, dont il existe près de 170 variétés.
Le Takayama Jinya, l’ancien siège régional du gouvernement d’Edo
Érigé au XVIIe siècle, le Takayama Jinya (高山陣屋) fut le siège régional du bakufu d’Edo (le gouvernement militaire du shogunat) entre 1692 et 1868. Ce bureau régional se situait sur la route Nakasendo, entre Edo (actuelle Tokyo) et Kyoto. Le bakufu gouvernait 60 provinces de diverses régions de l’Archipel, tandis que les daimyo (seigneurs féodaux) gouvernaient des fiefs. Le Takayama Jinya est l’unique bâtiment du genre existant encore au Japon et est classé « site historique national ».
On lit ici comme dans un livre ouvert la vie des gouverneurs de l’époque d’Edo. Ils recevaient en audiences les samouraïs dans la salle de conférence, recouverte de 49 tatamis. C’est ici qu’étaient actées les politiques du shogunat. Elles reposaient sur les principes du confucianisme, qui prônait la morale, cultivait le respect de la hiérarchie et de l’ordre social. Quant aux jardins japonais, ils sont typiques de l’époque d’Edo.
En 1867, lorsque le pouvoir passa entre les mains du nouvel empereur Meiji, le bakufu et le Takayama Jinya perdirent leurs prérogatives.
Pèlerinage à San Tera Mairi et mythologie locale
Un circuit de découverte permet de faire le tour de la dizaine de temples de Hida. Le pèlerinage rituel de San Tera Mairi consiste à aller prier dans trois temples (San Tera). Il se fait chaque année le 15 janvier, veille de l’anniversaire de la mort de Shinran Shonin, le fondateur de la secte bouddhiste japonaise Jodo-Shinshu. La coutume perdure depuis près de 3 siècles.
Premier des trois temples, le temple Enko-ji (円光寺), au bord de la rivière Miya (宮川), appartient à la secte Jodo Shinshu Nishi Hongan-ji (浄土真宗 西本願寺), « temple du vœu originel ». Des tortues ornent les avant-toits du pavillon principal. Elles sont réputées pour avoir protégé le temple des flammes lors du grand incendie de Furakawa en 1904. Ces décorations sont désormais appelées « mizu-yobi no kame », « les tortues qui appellent l’eau ».
La silhouette du temple de Shinshu-ji (真宗寺) se dessine quant à elle aux côtés d’un pont rouge qui traverse la rivière Araki, peu avant son embouchure avec la rivière Miya. Seul son kyozo, bâtiment destiné au stockage des sutras, a résisté à l’incendie de 1904.
Le temple de Honko-ji (本光寺) est la 3e étape du pèlerinage. Son hall d’entrée en bois de cyprès a été reconstruit en 1913. Faisant partie des plus grandes constructions en bois de la vallée, ce temple témoigne de la quintessence des techniques architecturales des charpentiers de Hida.
Les légendes locales sont hantées par le démon à deux visages Ryomen Sukuna (両面宿灘), figure légendaire de Hida. Ryomen Sukuna serait apparu dans la province de Hida sous le règne de l’empereur Nintoku, au cours de la période Yamato, au IVe siècle. Le folklore le décrit avec deux visages, un à l’avant et l’autre à l’arrière, quatre bras et quatre jambes. Vif d’esprit, doté d’une force surhumaine et de pouvoirs divins, il maniait de multiples armes, parmi lesquelles un arc et une épée.
Cette figure légendaire semble faire référence à une famille dirigeante de Hida, qui ne se soumit pas à la dynastie du Yamato, entra en rébellion et combattit les forces impériales. Le mythe de Ryomen Sukuna est relaté dans le Nihon shoki (日本書紀, les Chroniques du Japon), qui le décrit en effet comme un ennemi de l’empereur. Figure démoniaque, Ryomen Sukuna sema la terreur dans la région de Hida, mais il y aurait aussi introduit le bouddhisme. Il est à présent considéré comme un gardien protecteur et un bienfaiteur pour la province de Hida, une sorte de héros local vénéré dans les temples.
Le brassage du saké à Hida
La pureté des eaux de montagne de la préfecture de Gifu permet la production d’un saké d’une grande finesse. Hida compte plusieurs brasseries qu’il est possible de visiter sur réservation. Elles sont indiquées par des sugidama accrochés au-dessus des portes. Ces énormes boules d’aiguilles de cèdre annoncent l’arrivée d’un nouveau saké.
La brasserie Watanabe (渡辺酒造場) perpétue la tradition depuis 9 générations, et le propriétaire actuel vit encore dans les étages de la maison, à l’abri des chidori. La visite s’ouvre sur des bottes de paille de riz : la brasserie Watanabe étant une des seules de la vallée à produire son saké à partir de riz Hida-homare, une variété de riz local. Elle utilise aussi le riz Hida-minori. De septembre à juin, elle brasse un saké aux accents sucrés.
Le riz est d’abord cuit à la vapeur dans d’énormes cuves pouvant en contenir plus de 1500 kg. L’eau et le riz sont ensuite mélangés au koji de riz, un ferment qui fait office « d’amorçage ». Le mélange repose pendant 6 jours à une température de 9°C, puis il est rectifié, ajusté et affiné. Le koji de riz doit ensuite être oxygéné. Pendant 2 jours, 3 fois par jour, il est remué à la main, avec délicatesse, dans une pièce humide et chaude à la température contrôlée. Enfin, on presse le saké. Une opération lente qui s’étend sur toute une nuit. La brasserie utilise une cuve vieille de 150 ans récemment restaurée, fierté de la maison.
Bottes de paille de riz Boutique de la brasserie
Bacs de koji de riz Mélange manuel du koji de riz
La brasserie s’attache au recyclage des éléments résultant de la production saké. Certains de ces restes sont réutilisés pour la confection des gâteaux de riz ou des pickles de riz.
Informations pratiques
Pour plus d’informations visitez le site Internet de l’office de tourisme de Hida.
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Se rendre à Hida
- Se rendre à Hida en train : le plus simple est de passer par la ligne du Tokaido Shinkansen, qui relie Tokyo à Osaka, et de faire escale à Nagoya. Compter 1h40 de trajet au départ de Tokyo, 35 minutes au départ de Kyoto, et 1h au départ d’Osaka. Le Shinkansen Nozomi est le plus rapide entre Tokyo et Osaka, mais il n’est pas couvert par le Japan Rail Pass.
Une fois à Nagoya, prendre le train JR Hida Limited Express à destination de Toyama (富山駅), et descendre à Takayama (高山駅) ou Hida Furukawa (飛騨古川駅). Compter 2h20 de trajet entre Nagoya et Hida.
Il est aussi possible de rejoindre la vallée de Hida en train depuis Tokyo via Nagano, en passant par le Nord. On emprunte alors le Hokuriku Shinkansen à destination de Toyama. Le trajet est couvert par le JR Pass. Changer à Toyama pour prendre un train à destination de Hida-Furakawa ou Takayama.
- Se rendre à Hida en bus : les bus de Nohi Bus permettent également de se rendre à Takayama depuis Tokyo (Shinjuku), Nagoya, Kyoto et Osaka.
Se loger à Hida, le ryokan Yatsusankan
Le vénérable Ryokan Yatsusankan (八ツ三館) accueille les visiteurs depuis environ 165 ans dans ses bâtiments au bord du canal d’Araki-gawa (荒城川).Il est même inscrit au patrimoine culturel du Japon.
Des salons privatifs s’agencent en enfilade autour d’un jardin japonais avec son bassin et ses toro (lanternes de pierre). Au dîner, on y sert une cuisine kaiseki délicate et raffinée, aux couleurs de la saison.
Le petit déjeuner fait lui aussi la part belle aux saveurs locales : hoba miso (pâte de soja cuit à la flamme sur feuille de magnolia, spécialité régionale de Hida), natto (soja fermenté riche en vitamine K), chawan mushi (flan aux œufs salé cuit à la vapeur), panna cotta à la fleur d’oranger…
On peut se détendre dans des bains onsen en extérieur, au milieu d’un petit jardin sec.
Se restaurer à Hida, le restaurant de soba Fukuzenji
Le restaurant Fukuzenji Soba (福全寺蕎麦) se trouve en plein centre de Hida, dans un décor de bois noir. La maison sert des soba, des nouilles sarrasin, comportant 80% de farine de sarrasin. Elles sont préparées selon 4 recettes différentes.
Les forêts denses de la vallée de Hida ont donné naissance à une longue tradition de menuiserie et d’ébénisterie. Hida est entrée dans l’histoire du Japon en accueillant le siège régional du bakufu d’Edo, le Takayama Jinya. Les modes de vie et les traditions perdurent encore dans les maisons de marchands, les ateliers et les brasseries de Hida.
Article réalisé en partenariat avec Hida Regional Tourism Council