Long de près de 1200 kilomètres, le pèlerinage de Shikoku fait le tour de l’île du même nom en passant par 88 temples. Ancré dans le bouddhisme Shingon fondé par Kobo Daishi, ce pèlerinage permet de prolonger une visite de Koyasan dans la préfecture de Wakayama, l’un des lieux les plus sacrés du Japon.
Pour plonger corps et âme dans la culture bouddhiste japonaise, on peut choisir de faire le pèlerinage à pied. Les 30 à 60 jours de marche nécessaires pour se rendre dans chacun des temples sont particulièrement éprouvants, et demandent une certaine préparation. Une difficulté qui peut être recherchée, tant ces longues semaines de marche au cœur de la nature luxuriante de Shikoku, ponctuées par l’atmosphère mystique des temples, sont propices à l’introspection et participent à la purification du pèlerin.
Fort heureusement, il est tout à fait possible de découvrir la beauté sauvage et traditionnelle du Shikoku henro sans pour autant passer des semaines sur la route à se questionner sur le sens de la vie et à user ses chaussures de randonnée ! Voici certaines des plus belles destinations se trouvant le long du pèlerinage.
Tokushima : le chemin de l’éveil
Certains attribuent l’origine du pèlerinage de Shikoku au célèbre moine Kukai, aussi appelé Kobo-Daishi, qui vécut au IXe siècle. Une légende parle même d’un riche habitant de Shikoku ayant refusé l’aumône à Kukai, qui se serait mis en quête du moine pour lui présenter ses excuses. Les origines du pèlerinage restent en réalité bien incertaines, mais on sait en revanche qu’il devint populaire à partir du XVIIe siècle, suite à la publication en 1687 du guide Shikoku henro michi shirube, que l’on doit au moine Yuben Shinnen, et qui décrit le pèlerinage dans sa forme actuelle en le faisant débuter au temple de Ryozen-ji, dans la préfecture de Tokushima.
De là, les pèlerins s’élancent dans une marche d’environ 1200 kilomètres faisant le tour de l’île de Shikoku dans le sens des aiguilles d’une montre, en passant par 88 temples. Ce voyage se divise en quatre portions correspondant aux quatre préfectures traversée par la route de pèlerinage. La première section, dans la préfecture de Tokushima, correspond au chemin de l’éveil, la deuxième, dans la préfecture de Kochi, au chemin de l’ascèse, la troisième, dans la préfecture d’Ehime, au chemin de l’illumination, et enfin la quatrième et dernière portion, dans la préfecture de Kagawa, correspond au chemin du Nirvana.
Le temple de Ryozen-ji : le début du voyage
Le temple de Ryozen-ji (霊山寺), fondé au VIIIe siècle sous l’impulsion de l’empereur Shomu, n’est pas particulièrement grand. Mais son petit étang, sa pagode, et ses nombreuses lanternes suspendues, créent une atmosphère charmante dans laquelle on ne se lasse pas de se promener.
De nos jours encore, de nombreux pèlerins viennent y débuter leur périple. C’est donc le lieu idéal pour s’équiper pour son pèlerinage. Si l’habit ne fait pas le moine, il permet en revanche de distinguer le pèlerin du simple visiteur de passage. Deux éléments sont particulièrement importants : la veste blanche et le bâton.
La veste blanche (hyakue, 白衣) symbolise à la fois la pureté et l’innocence du pèlerin, mais aussi sa détermination à parcourir sa route, au point d’être prêt à y mourir, ce vêtement blanc rappelant les linceuls blancs utilisés par le passé lors des rites funéraires. Le bâton de pèlerin (kongo-zue, 金剛杖) symbolise la présence de Kukai qui accompagne le pèlerin tout au long de son voyage. Les voyageurs courageux qui s’aventurent sur le chemin du Shikoku henro ainsi vêtus se verront parfois offrir de l’assistance de la part des habitants, une aide qui peut prendre la forme de boissons ou de collations. Ces présents, que l’on nomme osettai, étaient à l’origine faits aux pèlerins par les habitants dans l’incapacité de se rendre aux temples, et les pèlerins allaient prier pour eux en échange.
Les voyageurs s’apprêtant à se lancer sur le chemin de pèlerinage peuvent acheter l’accoutrement traditionnel du pèlerinage de Shikoku, mais les visiteurs de passage souhaitant se mettre dans la peau des pèlerins d’hier et d’aujourd’hui ont également la possibilité de louer un ensemble à revêtir le temps de la visite du temple. En plus de la veste et du bâton de pèlerin vous aurez alors droit à un chapeau de bambou et un wasega, une étole à porter sur ses épaules lors des prières au temple.
Le temple de Tairyu-ji : l’un des plus beaux temples du pèlerinage de Shikoku
Le temple de Tairyu-ji (太龍寺), 21e temple du pèlerinage de Shikoku, fait partie des plus beaux temples du Shikoku henro. Niché dans les montagnes à 618 mètres d’altitude, il s’agit aussi d’un des temples les plus difficiles d’accès pour les pèlerins à pied. Pendant longtemps, il n’était possible de se rendre à Tairyu-ji qu’en gravissant la montagne, jusqu’à l’arrivée du téléphérique qui permet de se rendre au sommet en 10 minutes seulement, et sans effort.
Long de 2775 mètres, il s’agit du plus long téléphérique du Japon occidental. Le prix de l’aller-retour peut sembler un peu élevé (2600 yens en tarif plein, mais le tarif réduit de 1300 yens réservé aux élèves du primaire est également proposé aux étrangers s’ils présentent leur passeport), mais on se rend vite compte qu’on en a pour son argent. Non seulement ce trajet nous permet d’éviter la longue ascension menant à Tairyu-ji, mais le voyage en lui-même est fascinant. Le téléphérique traverse montagnes et rivières, offrant de merveilleux panoramas devant lesquels on ne se lasse pas de s’émerveiller.
L’atmosphère autour du temple de Tairyu-ji, entouré de cèdres centenaires qui s’élèvent vers le ciel, se fait mystique et spirituelle. Mieux vaut prévoir du temps pour la visite car le temple comporte de nombreux bâtiments. Kobo Daishi écrivit lui-même qu’il passa 50 jours dans ces montagnes lorsqu’il avait 15 ans, pour y réciter le même mantra un million de fois dans l’espoir d’atteindre l’illumination. Kokuzo Bosatsu, la divinité à laquelle le temple est dédié, était également la divinité à laquelle le mantra qu’il récitait alors était destiné.
Depuis Tairyu-ji, vous pourrez parcourir une portion du chemin qui mène au 20e temple du pèlerinage, le temple de Kakurin-ji. De nombreuses statues de jizo, représentant Bouddha, accompagnent les voyageurs dans leur périple. Et surtout une magnifique statue de Kobo Daishi tournée vers l’horizon que l’on peut rejoindre pour aller, avec lui, admirer les montagnes de Tokushima qui s’étendent à perte de vue.
Une nuit à Tokushima dans un hôtel pourvu d’un onsen original
Pour prolonger le magnifique dépaysement offert par les montagnes de Tokushima, l’hôtel Iya Onsen permet non seulement de passer une nuit au cœur de la nature luxuriante de Shikoku, mais surtout d’essayer des bains onsen tout à fait inhabituels.
Car on n’accède pas à ces bains en descendant un escalier et en franchissant une porte coulissante. Pour s’y rendre, il faut monter à bord d’un petit téléphérique qui descend au pied de la vallée. C’est là que les onsen de l’hôtel puisent leurs eaux naturellement chaudes dans la rivière Iya.
La vue, déjà superbe depuis le téléphérique, s’étend sur les montagnes depuis le bain extérieur. Un moment de détente en parfaite communion avec la nature qui nous entoure, de quoi récupérer après une journée de marche à crapahuter sur les chemins du pèlerinage de Shikoku. Et pour plus d’intimité, il est même possible de réserver un bain privatif à partager en couple ou en famille. Soulignons au passage que les personnes tatouées sont autorisées dans les onsen de l’établissement.
Les ramen de Tokushima
Voyager au Japon offre toujours l’occasion de découvrir les spécialités locales des régions dans lesquelles on se rend. Les ramen sont l’une des spécialités de Tokushima, qui trouve son origine dans la ville portuaire de Komatsushima. Alors pourquoi ne pas profiter d’une découverte des chemins de pèlerinage de Shikoku pour remonter aux sources et aller déguster des ramen à Komatsushima ?
Le restaurant Okamoto chuka sert ces ramen typiques de la région depuis trois générations. Le bouillon à base de porc rappelle le tonkotsu de Kyushu mais s’avère plus léger. Un véritable délice que l’on peut accompagner de sushis battera, des sushis de forme rectangulaires surmontés de maquereau mariné, typiques de la région du Kansai.
Udatsu, un quartier historique en pleine montagne
Situé dans la ville de Mima, le quartier historique d’Udatsu est composé de ruelles bordées de maisons traditionnelles particulièrement bien préservées. Les bâtiments de bois ornés de jardins japonais ressortent admirablement sur les montagnes qui s’étendent à l’horizon, offrant un cadre particulièrement photogénique. On y trouve de nombreux restaurants, des cafés et des petites boutiques, qui rendent un ballade à Udatsu d’autant plus agréable.
On y trouve notamment la boutique Aigura, qui prend place à l’intérieur d’un ancien entrepôt d’indigo. Le café qui y est aménagé offre une atmosphère particulièrement relaxante grâce à ses murs de verre, et il est possible d’y déguster un bento, avant ou après avoir fait un tour dans la boutique de souvenirs.
Kagawa : le chemin du nirvana
Quittons à présent la préfecture de Tokushima pour nous rendre au nord, dans celle de Kagawa, une préfecture fière de ses nombreuses traditions. C’est ici que les pèlerins parcourent la dernière portion de la route, appelée « chemin du nirvana », et qu’ils peuvent enfin se rendre au dernier des 88 temples.
Zentsuji : sur les traces de Kobo Daishi
La ville de Zentsuji (善通寺市) a une importance particulière pour les pèlerins, puisqu’il s’agit du lieu de naissance de Kobo Daishi. Certains des temples qui se trouvent à Zentsuji sont donc étroitement liés au moine fondateur de l’école bouddhiste Shingon.
Méditation zazen au temple de Koyama-ji
C’est le cas de Koyama-ji (甲山寺). 74e temple du pèlerinage, la légende veut qu’il fut créé il y a 1200 ans par Kobo Daishi lorsqu’un homme âgé lui apparut dans une grotte et se présenta comme un saint. Il lui dit qu’il le protègerait et lui demanda d’être bienfaisant, de rendre les gens heureux, et de transmettre les enseignements de Bouddha. Après cette rencontre, Kobo Daishi sculpta un Bishamonten dans la pierre et la plaça dans la grotte. Il revint y prier lors d’une entreprise périlleuse dont il était en charge, et investit les fruits de son succès pour y faire construire le temple de Koyama-ji. La grotte se trouve toujours à gauche du bâtiment principal du temple.
Les moines du temple devraient bientôt proposer une initiation à une forme de méditation zazen propre au bouddhisme Shingon. Appelée « gachirinkan » (月輪観), cette forme de méditation consiste à observer un cercle placé à hauteur du regard symbolisant une lune pleine. En observant ce cercle, il s’agit de parvenir à visualiser la lune, de la laisser s’étendre à l’intérieur de soi pour réussir à faire l’expérience de l’unité de l’univers. Le gachirinkan fait partie d’un ensemble de méthodes de méditations introduites au Japon par Kobo Daishi, appelées Ajikan.
Le temple de Zentsu-ji : lieu de naissance de Kobo Daishi
Le temple suivant sur la route de pèlerinage de Shikoku est considéré par beaucoup comme le plus important, car il se trouve sur le lieu de naissance de Kobo Daishi.
Il fonda lui-même le temple en 807, en restaurant le temple familial dédié à ses ancêtres, et le baptisa Zentsu-ji (善通寺). Il ne vous aura pas échappé que ce 75e temple porte le même nom que la ville dans lequel il se trouve, mais ne vous y trompez pas, c’est bien le temple qui donne son nom à la ville et non l’inverse. Avec le temps, le temple s’est agrandi pour devenir un véritable complexe composé de la partie fondée par Kobo Daishi et d’une autre partie, ajoutée plus tard sur son lieu de naissance.
Près du temple, la boutique Kumaoka Kashiten (熊岡菓子店) est fière de proposer une spécialité originale : le katapan (カタパン, pain dur), le pain le plus dur du Japon.
S’il ne s’agit pas de pain comme on l’entend en France mais plus de biscuits secs en forme de petites boules, vous n’avez probablement jamais rien mangé d’aussi dur ! N’essayez pas de croquer directement dans leurs ishipan, il faudra d’abord prendre le temps de les ramollir avec sa salive, ce qui permet de profiter pleinement des arômes discret du gingembre qui se cachent dans ces petites boules légèrement sucrées.
Un restaurant végan alliant cuisine française et cuisine bouddhiste
Et puisqu’on en est à parler de gastronomie, intéressons-nous à un restaurant de Zentsuji un peu particulier. Depuis près de 30 ans, Le Paysan revisite la cuisine française à l’aune des préceptes de la shojin ryori, la cuisine bouddhiste. Les plats sont donc cuisinés à la française mais sans aucun produit d’origine animale, et se passent également d’ail, d’oignon ou de ciboule, des plantes bannies de la cuisine bouddhiste.
Pour 2200 yens, vous pourrez déguster le menu du midi composé de plusieurs petits plats à base de légumes de saison, et découvrir à quoi peut ressembler la cuisine française lorsqu’elle se mêle à la cuisine traditionnelle japonaise.
Marcher sur une portion préservée de la route du pèlerinage de Shikoku
Sur l’ensemble du chemin de pèlerinage de Shikoku, il ne reste que peu de portions dans leur état d’origine. La route menant du temple de Shiromine-ji (白峯寺) au temple de Negoro-ji (根香寺) en fait partie, et une portion est même inscrite au patrimoine historique national.
Shiromine-ji, 81e temple du pèlerinage, abrite la tombe de l’empereur Sutoku (1119-1164), et reçut au fil des époques de nombreuses offrandes de seigneurs et de notables qui voulaient présenter leurs respects à l’ancien empereur. Après avoir visité le temple, vous pourrez vous lancer dans une randonnée d’environ deux heures pour parcourir les quelques 5 km qui vous séparent de Negoro-ji. Le chemin s’enfonce dans des forêts qui se parent d’éclatantes couleurs vertes durant l’été et prennent des teintes chaudes durant l’automne.
Le chemin est rustique, parfois pavé de pierres qui se sont éloignées les unes des autres, ou recouvert de feuilles mortes. Vous tomberez peut-être sur quelques boissons laissées là pour que les pèlerins puissent se désaltérer, témoignant de la générosité dont font preuve les habitants de Shikoku envers celles et ceux qui marchent sur les traces de Kobo Daishi.
Au bout du chemin, Negoro-ji, le 82e temple, est niché dans la montagne, à 365 mètres d’altitude. La nature, omniprésente, le dote d’une ambiance particulièrement mystique. Atmosphère exacerbée par la présence de 33 000 statues de Kannon, données au temple par des croyant venus des quatre coins du Japon, qui sont alignées le long de l’allée menant au hall principal du temple.
Le zenkon yado 88ALBERGUE : un hébergement mis à disposition des pèlerins étrangers
Les habitants de Shikoku aident volontiers les pèlerins lorsqu’ils le peuvent. Il s’agit le plus souvent d’une boisson ou d’un peu de nourriture offerts à des pèlerins croisés sur la route. Mais certains vont plus loin et créent de petits logements spartiates mis à disposition des pèlerins. Appelés « zenkon yado », ils sont accessibles gratuitement ou moyennant une participation financière très faible.
88ALBERGUE fut créé par les habitants du coin avec le soutien du temple de Shido-ji, et a ouvert ses portes en 2018. Ce zenkon yado a la particularité d’être destiné aux pèlerins étrangers qui rencontrent parfois des difficultés à trouver un logement durant leur pèlerinage. Gratuit sur le principe, les pèlerins sont libres de participer à hauteur de leurs moyens. Situé à proximité de Shido-ji, le 86e temple, il est possible d’y rester jusqu’à deux nuits consécutives afin de permettre aux pèlerins de faire l’aller-retour jusqu’au 88e et dernier temple du pèlerinage.
À l’image de certaines auberges qu’on peut trouver le long du chemin de Compostelle, on y trouve le nécessaire pour passer une nuit sous un toit : tables, chaises, lavabos, toilettes, tatamis, douche et machine à laver. Il faudra simplement penser à avoir son propre duvet. On n’y retrouve bien entendu pas le confort d’une chambre d’hôtel, mais le pèlerinage des 88 temples étant particulièrement long, tous les pèlerins n’ont pas les moyens de dormir à l’hôtel tous les jours et ce genre de logement apporte une aide hautement appréciable.
Comment se rendre à Shikoku et dans les préfecture de Kagawa et de Tokushima
Tokushima est accessible en avion, en train et en ferry.
Depuis Tokyo, il est possible de prendre un vol entre l’aéroport d’Haneda et l’aéroport de Tokushima. Comptez environ 1h15 de vol.
Depuis Osaka, des bus express font le trajet jusqu’à Tokushima en 3 heures environ. Des trains JR circulent également entre les deux villes.
Si vous désirez coupler votre périple sur le pèlerinage de Shikoku avec une visite de Koyasan, il est possible de faire le voyage entre Tokushima et Wakayama en ferry. Le voyage dure environ deux heures et coûte autour de 2000 yens.
Depuis Tokushima, vous pourrez vous rendre à Takamatsu, la ville principale de la préfecture de Kagawa, grâce aux trains de la ligne JR Uzushio qui voyage entre la gare de Tokushima et la gare de Takamatsu en un peu plus d’une heure.
Que vous partiez à la découverte du pèlerinage de Shikoku à pied, en bus ou en voiture, que vous décidiez de passer par chacun des 88 temples du pèlerinage ou de vous arrêter seulement dans certains des lieux les plus emblématiques, vous garderez des souvenirs impérissables de ce voyage qui vous laissera peut-être les marques de la spiritualité ancestrale qui imprègne ces routes et ces temples depuis des siècles.
Article écrit en partenariat avec le Shikoku District Transport Bureau, la préfecture de Tokushima, la Kagawa Prefecture Tourism Association, et le Wakayama Tourism Bureau